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Les nouvelles postérieures sont consultables dans les nouvelles actives
Intérieur de Salon de Thé. Le Grand Teddy, projet - Vuillard, 1917
LA DONATION MARCIE-RIVIÈRE
Zeïneb et Jean-Pierre Marcie-Rivière
2016 a été une année faste pour le Musée d’Orsay qui vient de fêter ses trente ans d’existence. En octobre dernier, Marlene et Spencer Hays sont venus à Paris pour finaliser la donation, sous réserve d’usufruit, de 187 œuvres de leur collection.
Depuis le 22 novembre 2016 sont exposés les tableaux d’une autre donation consentie en 2011 par un industriel, féru d’art, collectionneur et mécène, Jean-Pierre Marcie-Rivière.
La jeune fille aux bas noirs - Bonnard, 1893
Cette collection composée d’œuvres de Bonnard et Vuillard avait été commencée par André Lévy-Despas, homme d’affaires qui avait développé les magasins Monoprix en France et au Maghreb et premier mari de Zeineb Kebaïli qui devint plusieurs années après la mort de son mari, l’épouse de Marcie-Rivière. Tous deux firent de nouvelles acquisitions pour enrichir cette collection qui ornait leur hôtel particulier de la rue de Varenne (l’étage occupé par Zeineb était plutôt classique et celui de Jean-Pierre plus contemporain).
Jeune fille la main sur la poignée de la porte - Vuillard, 1891
A la mort de son épouse, Marcie-Rivière décida de léguer une partie de ses Bonnard (1867-1947) et Vuillard (1868-1940) au Musée d’Orsay, jugeant que sa collection, constituée pendant une trentaine d’années, viendrait harmonieusement compléter celle déjà détenue par le musée. Le reste des œuvres d’art qu’il possédait (Bacon, Kiefer, De Staël, Twombly…) a été vendu aux enchères en juin 2016 chez Christie’s.
Certains des tableaux entrés cette année à Orsay avaient déjà été prêtés par Marcie-Rivière et avaient figuré dans une exposition de 2014, « 7 ans de Réflexion. Dernières Acquisitions » (suivre le lien, l' "A Noter-A Voir" se trouve en haut de page) et dans celle de 2015 intitulée « Pierre Bonnard. Peindre l’Arcadie » (suivre le lien, l' "A Noter-A Voir" se trouve en bas de page).
Chaque fois qu’un tableau était prêté pour une exposition, il était remplacé, rue de Varenne, par une photo de mêmes dimensions pour ne pas briser l’harmonie des lieux.
La donation qui comporte 24 tableaux de Vuillard (ainsi que 3 pastels et 2 dessins) et 25 tableaux de Bonnard (ainsi que 94 dessins) montre, une fois de plus, que, dans la première partie de leur carrière, les deux artistes se sont intéressés aux mêmes thèmes et qu’ils les ont abordés de façon similaire. Tous deux étaient très attirés par les scènes intimes, les intérieurs, les soirées musicales, les scènes urbaines, notamment celles d’une vie parisienne en pleine expansion ; dans ces tableaux, le décor joue souvent un rôle plus important que les personnages (généralement des membres de la famille ou des amis) qui se trouvent relégués au deuxième plan.
Jour d'hiver - Bonnard 1905
Les deux peintres travaillaient essentiellement de mémoire ; Bonnard griffonnait souvent des dessins sur le vif avant de les réutiliser, dans ses toiles, une fois de retour dans son studio. Il avait l’habitude de dire : « Le dessin, c’est la sensation ; la couleur, c’est le raisonnement » montrant ainsi l’aspect spontané du dessin par rapport à la peinture. La collection comporte de nombreux dessins de Bonnard dont un tiers représente des paysages des lieux qu’il fréquentait (le Dauphiné, Vernonnet, Saint-Tropez, Le Cannet…).
Les femmes représentées sur les toiles sont pour nombre d’entre elles les compagnes des deux artistes. Il y a notamment un très beau « Nu accroupi au Tub » de 1918 (qui rappelle Degas), dont celle qui servit de modèle n’est autre que l’épouse de Bonnard, Marthe, qu’il représenta par la suite à maintes reprises, nue dans sa salle de bains ou dans sa baignoire.
Nu accroupi au Tub - Bonnard, 1918
Contrairement aux Hays qui souhaitent que leur collection reste indissociée, Jean-Pierre Marcie-Rivière n’a pas exigé une salle dédiée et peut-être sa collection ira-t-elle rejoindre les autres Vuillard et Bonnard d’Orsay.
Reste maintenant au Musée d’Orsay à s’agrandir pour accueillir ces deux donations. La bibliothèque et la documentation du musée vont déménager pour faire de la place à la donation Hays et le musée aimerait récupérer l’Hôtel de Belle-Isle, actuellement occupé par la Caisse des Dépôts, qui se trouve dans le prolongement du musée.
Le président d’Orsay, Guy Cogeval, peut quitter son poste, en mars prochain, satisfait d’avoir largement contribué à ces deux donations mais il ne quittera pas les Nabis puisqu’un centre qui leur sera consacré va être créé à Orsay et il en deviendra le directeur.
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Musée d'Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur
75007 Paris
Jusqu’à fin Mars 2017 (date non précisée)
tous les jours sauf lundi
de 9 h 30 à 18 h
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Hélène TANNENBAUM
Bal costumé au Palais des Tuileries sous le Second Empire
SE DIVERTIR COMME SOUS LE SECOND EMPIRE
AU MUSÉE D’ORSAY
Pour fêter son trentième anniversaire, le Musée d’Orsay a organisé trois jours de festivités. Parmi celles-ci, un déjeuner-banquet à l’ancien restaurant de l’ancien hôtel de la gare d’Orsay (1), au premier étage, dans les décors mêmes où furent accueillis les visiteurs de l’Exposition Universelle de 1900 (salle classée au titre des Monuments Historiques avec vue sur la Seine et le Grand Palais).
Plusieurs centaines de personnes ont ainsi pu, les 3 et 4 décembre 2016, savourer un menu (simplifié par Elior) rappelant les banquets créés par Jules Gouffé (2) pour « leurs majestés l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie ». Un verre de vin de Madère (3), très tendance à l’époque pour raviver les réceptions et les salons bourgeois, fût servi en apéritif. Au dessert, hommage fût rendu à Escoffier (4), Offenbach et Hortense Schneider avec une poire Belle-Hélène revisitée…
Fête de nuit aux Tuileries le 10 juin 1867
Le dimanche 4 décembre, le public se pressait sous la grande nef et aux balcons des galeries pour assister à une spectaculaire démonstration de danses par l’Association Carnet de Bals (5), en costumes et uniformes d’époque. Une sage mazurka tchèque a été suivie de la célèbre marche de Malbrough puis d’une gigue américaine.
Arnaud de Gioanni, président de Carnet de Bals, convia le public à participer avec les danseurs en costumes. Ce fût un grand succès. Le maître de bal a ensuite mené, le soir-même, valses, polkas, quadrilles et autres mazurkas, avec ses quatre-vingts danseurs entremêlés à une foule costumée en fièvre. Les réservations à ce Grand Bal, sitôt ouvertes, avaient été très rapidement complètes.
Dans l’après midi, M. de Gioanni a tenu, dans le petit salon jouxtant le restaurant, une conférence sur les « danses historiques », notamment celles du Second Empire et du XIXe siècle, que son association fait revivre en costumes dans le monde entier depuis plus de vingt-cinq ans. Il nous apprit que les danses étaient classifiées depuis des siècles selon une pyramide très ordonnée. Il ne convenait pas de mêler la danse du roi avec les contredanses…
Jean-Baptiste Carpeaux : bal costumé au Palais des Tuileries (1867)
Les danses se sont démocratisées au Second Empire. La valse, née en France, peu de gens le savent (malgré son nom d’origine allemande), permit aux blanchisseuses comme aux princes du sang de transgresser les interdits et d’enlacer en public sa/son partenaire. Sans parler de la « saint-simonienne », cinquième figure du quadrille français, nommée ainsi en raison des changements successifs des dames et des cavaliers.
Magie de la danse et du bal !
Au XIXe, Paris abondait en bals, jusqu’à sept cents certains soirs. Les plus courus étaient ceux de l’Hôtel de Ville donnés par le baron Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870.
Faute de place, il était recommandé aux 3 000 invités de ne valser « qu’à droite » pour ne pas créer d’accident. Héritier de l’ancienne contredanse en carré, le quadrille français devint vite une danse phare et se répandit dans les salons et les bals populaires du monde entier.
HCA Baron - Une Fête officielle aux Tuileries pendant l'Exposition Universelle de 1867
Paris était gai et lançait les modes. On créait des bijoux dédiés, des éventails, des coiffures, des rubans… Tout était mis en œuvre pour valoriser la beauté des femmes. Le premier Grand Bal éclairé à la lumière électrique date de 1862 (au palais des Tuileries).
A la fin du siècle, revint le goût de la tradition. Galops et polkas furent jugés trop populaires. Les jeunes filles essoufflées et échevelées pourraient avoir du mal à trouver un mari exigeant sur la tenue ! On recréa des règles compliquées qui permirent aux aristocrates et aux bourgeois fortunés de se démarquer.
Anick PUYOOU
Carnet de Bals a de nombreux liens avec le 9e : l’association répète au Gymnase Buffault (26 rue Buffault) et participe aux événements de l’arrondissement. Elle anime la Nuit du Sport (pour le Téléthon), comme cette année le 3 décembre au Gymnase Gauguin. Les danseurs de Carnet de Bals furent présents, et fort applaudis, au Charivari place Saint-Georges et à l’Hôtel Dosne-Thiers le 22 mai 2016 malgré la pluie.
Notes
(1) La gare et son hôtel, construits en deux ans par l’architecte Victor Laloux, furent inaugurés pour l’Exposition Universelle le 14 juillet 1900. Après 212 jours d’ouverture, l’exposition accueillit plus de cinquante millions de visiteurs. Jusqu’en 1939, l’hôtel d’Orsay recevait des voyageurs. Des associations et des partis politiques y tenaient leurs assises.
(2) Jules Gouffé (1807-1877). Le célèbre pâtissier de la rue du faubourg Saint-Honoré, devint en 1855 le cuisinier de Napoléon III. En 1867, celui que l’on surnommait « l’apôtre de la cuisine décorative », était officier de bouche au Jockey Club, dont les salons occupaient alors l’angle de la rue Scribe et du boulevard des Capucines, dans le 9e arrondissement.
(3) En 1860, l’impératrice Elisabeth d’Autriche alla soigner sa « mélancolie » et sa faiblesse à Madère. Sa présence contribuera à lancer l’île comme destination climatique auprès des aristocrates et bourgeois très fortunés.
(4) Auguste Escoffier (1846-1935), « roi des cuisiniers et cuisinier des rois », héritier d’Antonin Carême, a créé en l’honneur de célébrités de son époque, de nombreux plats qui sont venus jusqu’à nous comme la salade Eugénie, le suprême de poulet George Sand, les fraises Sarah Bernhard, les crêpes Suzette, la pêche Melba, la timbale Garibaldi ou les noisettes d’agneau Cora Pearl…
(5) Carnet de Bals est une association ayant pour but de recréer le bal tel qu’il aurait existé au XIXe siècle. Afin de permettre ces reconstitutions, l’association propose plusieurs activités permettant l’apprentissage et les perfectionnements des techniques de bals
Matisse - La desserte Harmonie Rouge - 1908
LA COLLECTION CHTCHOUKINE
Lorsqu’au printemps dernier j’étais allée voir les filtres de couleur posés sur les voiles du paquebot Gehry, à la Fondation Vuitton, j’avais interrogé un garde sur la temporalité de ces filtres, il m’avait répondu et m’avait conseillé de revenir cet automne pour découvrir des tableaux impressionnistes ayant appartenu à un collectionneur particulier, Chtchoukine.
Chtchoukine, ce nom n’évoquait alors rien pour moi ; aujourd’hui après avoir vu sa collection, je me demande comment elle a pu rester inconnue, pour tant d’entre nous, jusqu’à présent , étant donné l’immense quantité et variété de tableaux de grands peintres français de la fin du XIXe s et du début du XXe s. qu’elle comporte : 274 tableaux en tout dont 127 sont exposés à la Fondation (parmi eux 29 Picasso, 22 Matisse, 12 Gauguin, 8 Cézanne, 8 Monet…) ; il s’agit bien d’une collection particulière et non pas d’un musée !
Portrait de Chtchoukine par Xan Krohn - 1915
Mais qui était donc Sergueï Ivanovitch Chtchoukine (1854-1936), l’ « heureux » propriétaire de toutes ces merveilles ? Né à Moscou en 1854, fils d’un riche commerçant, Sergueï entre dans l’entreprise familiale de textile avec deux de ses frères. Le père, fortune faite, achète l’Hôtel particulier des princes Troubetskoï. En 1890, Sergueï épouse Lydia Koreneva dont il a trois enfants. Ils habitent le Palais Troubetskoï et vivent à la manière de la grande bourgeoisie économique russe de l’époque, cultivée, ouverte aux idées nouvelles, voyageant beaucoup (les Chtchoukine vont en Inde, au Soudan…).
Le frère cadet de Sergueï, Ivan, installé à Paris en 1895, est le premier à fréquenter les marchands d’art parisiens : Durand-Ruel, Vollard et Kahnweiler achetant des pastels de Manet et de Degas et des Cézanne, artistes encore pas trop cotés et parfois éreintés par les critiques.
Deux ans plus tard, son frère, Sergueï, n’ayant lui non plus aucune connaissance en matière artistique, abordera l’art de la même façon, attachant surtout de l’importance à ce qu’il ressent face à une œuvre. Il achète, à son tour et de manière quasi-compulsive des Degas, des Monet et des Cézanne et les accroche dans le palais familial de Troubetskoï, en rangées superposées les unes aux autres ; on peut d’ailleurs voir des photos de l’agencement d’origine, tout au long de l’exposition, grâce à des photos gigantesques représentant les murs et les escaliers du Palais.
Cézanne - L'homme à la pipe - 1890-1892
Cette frénésie d’achats de chefs-d’œuvre est peut-être pour Sergueï une façon de faire face aux tragédies qui l’accablent (mort de deux fils, l’un est retrouvé, à la débâcle, dans la Moskova, l’autre se suicide en 1910; son frère « parisien » se suicide ; sa femme meurt brutalement à l’âge de 43 ans).
Chtchoukine permet à de jeunes artistes russes (ainsi qu’aux Moscovites) de s’initier aux principaux courants de l’art occidental, en ouvrant les portes de son Palais tous les dimanches au public.
Certains milieux conservateurs russes jugeant ces œuvres subversives, tentent même d’en interdire l’accès aux étudiants. Le généreux collectionneur avait manifesté l’intention de léguer ses toiles à la ville de Moscou mais suite à la Révolution russe de 1917, il est obligé de quitter précipitamment la Russie et s’installe à Paris où il meurt en 1936.
Ses tableaux sont nationalisés par l’État en 1918 et, considérés comme des œuvres bourgeoises et réactionnaires, tombent dans l’oubli pendant plusieurs décennies avant d’être répartis, en 1948, entre deux musées, le Musée Pouchkine à Moscou et le Musée de l’Ermitage à Saint-Petersbourg. Pendant des années, ces deux institutions refusent de laisser sortir, autrement qu’au compte-goutte, ces œuvres, craignant, de la part des héritiers, des demandes de restitution ou de dédommagement.
Dans la première salle de l’exposition sont réunis des autoportraits et portraits (Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Picasso…) dont deux du collectionneur par l’artiste norvégien Xan Krohn. Dans la seconde salle, une installation multimedia évoque la rencontre de Sergueï avec Matisse à qui il avait commandé, pour son grand escalier, deux tableaux, « La Musique » et « La Danse » que le collectionneur hésite longuement à conserver vu les réactions critiques et ironiques de ses invités. L’artiste français séjourne au Palais durant l’hiver 1911 et effaré par la disposition bord à bord des tableaux et le côté poussiéreux du mobilier, obtient la permission de réaménager le Salon Rose pour y exposer ses œuvres.
Les salles suivantes sont consacrées à la peinture de Monet (essentiellement des paysages). C’est Durand-Ruel qui vend au Russe ses premiers Monet ; le collectionneur se rend ensuite à Giverny, en 1900 et 1901, pour en acheter d’autres. Est accroché dans cette salle le célèbre « Déjeuner sur l’Herbe » pour lequel Camille, l’épouse de Monet, et Frédéric Bazille servirent de modèles pour cinq personnages.
Claude Monet - Déjeuner sur l'herbe
Vient ensuite une salle consacrée à Cézanne (splendide « Montagne Sainte-Victoire, vue des Lauves »), aux Fauves et aux Cubistes.
Cézanne - La Montagne Sainte-Victoire, vue des Lauves
Dans une autre salle sont réunis onze des seize tableaux de Gauguin de la collection. Ils appartiennent tous à la période tahitienne de l’artiste et montrent, à côté d’œuvres du Douanier Rousseau et de Picasso, l’attirance du collectionneur pour un certain exotisme, orientalisme et art premier.
Paul Gauguin - Aha Oe feii - 1892
La collection comporte aussi des sculptures africaines acquises par Sergueï et disposées à côté d’œuvres picturales de Picasso, lui aussi fortement marqué par cet art à une certaine période de sa vie. C’est Matisse qui avait amené Sergueï au Bateau-Lavoir pour lui présenter Picasso, à une époque où ses œuvres étaient encore très abordables.
Une autre salle est consacrée à Matisse qui a exercé une profonde influence sur Chtchoukine, puisqu’une fois l’escalier du Palais décoré par Matisse franchi, on parvenait au Salon Rose qu’avait aménagé Matisse et qui lui était entièrement dédié (« La Desserte Harmonie rouge. La Chambre rouge»)
A la fin de l’exposition sont accrochées une trentaine d’œuvres d’artistes russes (Malevitch, Rodtchenko, Gontcharova…) marqués par leur rencontre avec l’art occidental et qui à leur tour ont influencé les artistes de l’ouest.
Rodtchenko - Compo 66 1919 Picasso - Femme à l'éventail 1908
Cette réunion de tableaux d’artistes majoritairement français est d’autant plus remarquable qu’elle a nécessité des années de travail et de négociations (entre les organisateurs, les conservateurs, les descendants du collectionneur, les restaurateurs, les autorités russes et les diplomates); il a fallu s’entendre avec les deux grands musées russes et, une fois les accords conclus, acheminer des dizaines de tableaux vers la France, certains étant très fragiles (problèmes de transport, de garanties, d’assurances). Les récentes tensions politiques entre la France et la Russie auraient pu remettre en question l’exposition mais heureusement il n’en a rien été.
Interrogé sur le coût d’une telle exposition, le Président de LVMH, Bernard Arnault, dit que le prêt des œuvres a été consenti au prix de la restauration (« dépenses néanmoins substantielles ») d’un certain nombre de tableaux et de leur ré-encadrement.
Chtchoukine, par son instinct artistique, a su reconnaître les grands peintres au bon moment et constituer sa collection, sans jamais céder aux idées reçues et aux railleries dont les artistes et lui-même ont fait l’objet. Il a eu le courage et l’audace d’aller contre les goûts de son milieu et de son époque.
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Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma-Gandhi
75116 Paris
Exposition prolongée jusqu’au 5 mars 2017
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Hélène TANNENBAUM
Gas Station - Edward Hopper 1940
LA PEINTURE AMÉRICAINE DANS LES ANNÉES 30
Cette exposition, présentée d’abord à l’Art Institute de Chicago, arrive à Paris au Musée de l’Orangerie avant de rejoindre la Royal Academy of Arts, à Londres, en février.
Son titre français, « La Peinture Américaine des années 30 » garde, en sous-titre, l’intitulé américain « The Age of Anxiety » reflétant ainsi l’état d’inquiétude, voire même d’angoisse, du peuple américain dans ces années là. Elle a été conçue à Chicago après la crise des subprimes de 2008, à la suite de laquelle tant d’Américains se sont retrouvés au chômage, expulsés de leurs maisons, dans un profond dénuement, rappelant ainsi à l’Amérique la crise de 1929.
C’est justement en 1929 que commence cette exposition qui balaie le paysage politique, économique et social américain jusqu’au début des années 40, c’est à dire l’entrée en guerre des États-Unis, qui marque la reprise de la croissance économique et un retour vers le plein emploi.
Dans la première salle figure un panneau explicatif de la situation économique des E.U. entre 1929 et 1941. Tout commence le 29 octobre 1929 (« Black Thursday ») par le Krach boursier qui a des conséquences catastrophiques sur le pays, puis sur l’Europe toute entière, entraînant misère, sentiment d’insécurité et troubles sociaux. C’est le début de ce qu’on a appelé la Grande Dépression.
Le panneau indique que le taux de chômage de 16% en 1931 atteint son pic, 25%, en 1933. Entre-temps, en 1932, les élections présidentielles ont amené au pouvoir le démocrate Franklin Delano Roosevelt qui, par sa politique de New Deal (qui consista d’abord en une série de programmes d’aide sociale pour venir en aide aux plus démunis et ensuite en une série de programmes destinés à financer des travaux agricoles et industriels), réussit à inverser la situation économique.
En ce qui concerne les artistes, il promulgue en décembre 1933, le « Public Works of Art Project » qui apporte une aide directe d’abord à des artistes peintres en leur procurant du travail dans des lieux officiels (leur faisant réaliser des peintures murales dans des bureaux de poste et autres bâtiments administratifs). Cette aide s’étendra ensuite aux écrivains, puis aux acteurs et aux musiciens. C’est également durant cette période de crise que les grands musées de New York voient le jour (le Museum of Modern Art en 1929, le Whitney Museum en 1931 et le musée qui deviendra le Guggenheim Museum en 1937).
American Gothic - Grant Wood -1931 Cow's skull with Roses - Georgia O'Keeffe 1931
C’est également dans cette première salle qu’on peut voir le tableau « culte » de cette exposition : « American Gothic » de Grant Wood (1930), représentant un fermier du Midwest et sa fille sans qu’on comprenne vraiment si l’artiste a voulu critiquer ces puritains austères ou rendre hommage au monde rural traditionnel ; autre œuvre énigmatique exposée tout à côté, « Crâne de Vache avec Roses » (1931) de Georgia O’Keeffe, très éloignée des natures mortes avec fleurs auxquelles l’artiste nous a habitués.
Un certain nombre d’artistes exposés ici ont débuté leur carrière en Europe, certains y ont même fait des études d’art et se sont donc trouvés confrontés aux mouvements artistiques de l’époque : cubisme, surréalisme et réalisme socialiste. Quelques-uns ont assisté à la montée du fascisme en Europe, c’est le cas de Peter Blume dont la toile « The Eternal City », présente Mussolini comme un diable jaillissant d’une boîte et celui de Philip Guston « Bombardment » qui rappelle Guernica.
The Eternal City - Peter Blume 1934-1937
Même si certains artistes évoquent l’Europe et les problèmes outre-Atlantiques, c’est surtout de la vie quotidienne aux E.U. dont il est question dans cette exposition.
Lorsque surgit la crise de 29, c’est pour beaucoup d’Américains la croyance dans le « rêve américain » qui s’effondre ; leur confiance dans leur pays est ébranlée. Les artistes exposés reflètent à travers leurs œuvres, le climat anxiogène qui règne, leur révolte face à la misère, aux inégalités sociales et à la discrimination. Ils tentent de s’accrocher aux grandes valeurs américaines, à leur passé (section « Histoire Revisitée »), à un monde rural qu’ils espèrent épargné par la crise (mais malheureusement pas par les catastrophes climatiques). Ils évoquent, à travers leurs œuvres, ce qui a favorisé pendant si longtemps la prospérité du pays (l’industrie, les usines, les transports …) en espérant la voir renaître bientôt (section « Contrastes américains : Puissance industrielle et retour à la terre »).
American Landscape - Charles Sheeler 1930
Pour mieux supporter les difficultés quotidiennes, les Américains ressentent un besoin de se divertir et d’oublier leurs soucis et c’est la section «La Ville Spectacle » ; ils se mettent à fréquenter les cinémas (« New York Movie » de Edward Hopper, 1939), les théâtres, les boîtes de nuit, les bars et c’est Harlem avec « Street Life, Harlem», 1939, de William H. Johnson, un peintre afro-américain.
Street Life, Harlem - William H. Johnson 1939
A part les tableaux exposés ici, des extraits de films d’archives sont projetés, montrant la première investiture de Roosevelt, des scènes de manifestations, de grands travaux entrepris pour relancer l’économie, de soupe populaire et de marathons de danse, rendus familiers par le film de Sydney Pollack « On Achève bien les Chevaux » (1969) et illustrés dans l’exposition par un tableau de Philip Evergood, de 1934, qui montre des gens à leur 49e jour de danse.
La dernière salle de l’exposition marque un tournant dans l’art pictural américain avec le tableau hyperréaliste de Hopper (« Gas Station» de 1940) et celui qui permet d’apercevoir les débuts de l’abstraction de Jackson Pollock (sans titre). Ces tableaux reflètent bien l’inquiétude et le sentiment d’incertitude ressentis à l’époque et avec certaines autres œuvres de l’exposition laissent entrevoir l’arrivée du Pop Art, avec des artistes comme Warhol et de l’abstraction dont Pollock sera un des principaux représentants avec Rothko.
New York Movie - Edward Hopper 1939
Hélène Tannenbaum
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Musée de l’Orangerie
Place de la Concorde
Jusqu’au 30 janvier 2017
Tous les jours sauf mardi de 9h à 18h
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Fontaine des quatre saisons de la rue de Grenelle
EDME BOUCHARDON
OU UNE IDÉE DU BEAU
Il n’est pas trop tard, encore quelques semaines, pour se rendre à l’exposition qu’abrite Le Louvre consacrée à l’œuvre d’un sculpteur que le graveur Charles Nicolas Cochin qualifia en son temps de « plus grand sculpteur et meilleur dessinateur de son siècle », Edme Bouchardon (1698-1762).
Pourtant promoteur au XVIIIe siècle du renouveau dans les arts, il ne bénéficie sans doute pas aujourd’hui de la même renommée que d’autres sculpteurs comme Coysevox et un peu plus tard Pigalle, ce qui explique sans doute le relatif peu d’affluence de cette exposition.
Certes, on ne voit pas là beaucoup de statues, car elles sont souvent difficilement déplaçables de leurs lieux de résidence, comme de celui du domaine de Versailles notamment. Mais on peut cependant admirer la magnifique copie en marbre d‘après un antique du Faune endormi, détenue par Le Louvre, brillant exercice de style que réclamait l’appartenance de l’artiste à l’Académie de France à Rome, où il séjourna entre 1723 et 1732 après avoir remporté le prix de Rome en 1722.
Cette œuvre impressionne en effet par son naturel et le rendu parfait des formes et allait révéler Bouchardon comme un sculpteur majeur de son époque.
Nommé à son retour en France à l’Académie royale de peinture et de sculpture, il allait alors livrer de nombreuses « académies », ces exercices de copie d’après des nus masculins, qu’il exécutait au milieu de ses élèves, en tant que professeur à l’Académie royale.
Plus loin dans l’exposition sont présentées des statues, témoignages de ce qu’il a pu concevoir en matière d’art religieux, comme le réalisme du portrait en marbre du pape Clément XII, venue de la Galleria Corsini à Florence, exposé en France pour la première fois ou ces statues en pierre de Tonnerre se trouvant à l’église Saint-Sulpice, Jésus-Christ appuyé sur la croix et la Vierge de douleur.
Le Pape Clément XII Jésus Chist appuyé sur la croix
On découvre ensuite cet étonnant Amour se faisant un arc de la massue d’Hercule, œuvre réalisée entre 1739 et 1750 et dont le sujet entraina certaines critiques par l’originalité dont fit preuve Bouchardon en représentant Cupidon, fils de Vénus, testant l’élasticité d’un arc, loin ainsi des canons habituels du classicisme… Diderot et Voltaire se seraient d’ailleurs moqués de ce dieu se livrant à un travail manuel ! Là encore, le spectateur est impressionné par la technique du sculpteur et par le long travail que nécessita l’œuvre préparée par de nombreuses études dessinées d’après l’antique et par le recours à un modèle vivant.
« Amour se faisant un arc de la massue d’Hercule » Réplique en réduction de la sculpture originale.
C’est ce travail préparatoire considérable qui est mis également en avant dans l’élaboration du chef-d’œuvre qu’est la fontaine de Grenelle commandée par la Ville de Paris et inaugurée en 1745. Il s’agissait de montrer que Paris assure l’approvisionnement en eau courante toute l’année à ses habitants. Pour cela, Bouchardon a conçu une œuvre monumentale rue de Grenelle, montrant une femme qui trône au centre, figurant Paris, avec à ses pieds des allégories allongées représentant la Seine et la Marne. Autour, les Saisons sont évoquées par des Génies sous la forme de scènes d’enfants particulièrement gracieux. L’exposition du Louvre a le mérite de faire prendre conscience de la somme de travail qu’a nécessitée l’œuvre en présentant une sélection de dessins préparatoires, de terres cuites ou de réductions en marbre, qui montrent ainsi le soin que l’artiste mettait à exécuter ses commandes.
C’est le cas d’ailleurs de la dernière œuvre exécutée par Bouchardon avec cette statue équestre de Louis XV commandée par le prévôt des marchands de la Ville de Paris, pour être installée au centre de la place Royale (l’actuelle place de la Concorde), devant le château des Tuileries. La statue nécessita plus de quatre cents dessins préparatoires (!), dont des études anatomiques très précises du cheval, et plus de dix ans de travail. Elle ne fut terminée qu’après la mort de l’artiste, avec l’aide de Jean Baptiste Pigalle, pour être inaugurée en 1763. L’œuvre, dont il ne reste aujourd’hui qu’un fragment de main en bronze, allait pourtant connaitre un destin funeste puisqu'elle fut détruite trente ans plus tard pendant la Révolution…
Si donc l’exposition n’accorde que peu de place aux statues notamment pour les raisons évoquées plus haut, elle présente surtout un ensemble impressionnant d’études préparatoires réalisées le plus souvent à la sanguine et dont le Louvre détient dans son département d’Arts graphiques, une collection très importante. Une intéressante vidéo montre d’ailleurs la technique d’élaboration des sanguines avec les contre-épreuves qui les accompagnent.
Tête de jeune garçon Enfant
Cet ensemble de dessins prouve la maitrise technique de l’artiste et l’attention qu’il portait à la préparation de ses sculptures. On est frappé particulièrement par ce souci du naturel qui s’exprime notamment dans le travail sur les nus.
Si on devait enfin trouver une raison particulière d’aller à cette exposition, ce serait pour découvrir cette série très originale des Cris de Paris, assez différente de tout ce qui est montré par ailleurs.
Il s’agit en effet d’un ensemble de soixante dessins réalisés en 1737, intitulé Études prises dans le bas Peuple et qui décrit les petits métiers de rue de l’époque, témoignage passionnant de la vie quotidienne à Paris au XVIIIe siècle. Le titre doit son nom aux cris que poussaient les marchands de rue pour vendre leurs services !
Le comte de Caylus, ami de Bouchardon, grava à l’eau forte ces cinq suites de douze estampes qui sont aujourd’hui détenues par le British Museum. On peut feuilleter aussi numériquement les dessins et grossir à volonté chaque détail.
Le Marchand de Lanternes Le Porteur d'eau
Le principe est toujours le même : chaque métier est représenté par une figure vue de près, souvent de dos ou de profil, portant les vêtements et les ustensiles de sa profession. On reconnait ainsi le Porteur d’eau, le Chaudronnier auvergnat, le Décrotteur, la Savoyarde, la Vendeuse de pommes ou la Charmante catin et beaucoup d’autres … Certains sont désignés justement par le cri qu’ils poussent : Mon bel œillet, Achetez mes cuillers à pot !
C’est le naturel des poses qui séduit mais aussi l’humanité qui se dégage de toute cette production un peu atypique. Une vraie découverte.
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Musée du Louvre
Exposition Bouchardon
jusqu’au 5 décembre 2016, Hall Napoléon,
de 9 h à 18 h, sauf le mardi.
Nocturne mercredi et vendredi jusqu’à 22h.
Emmanuel FOUQUET