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L'Abbaye de Chaalis - juin 2018



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Gisant de Nélie Jaquemart-André © D. Bureau
 



Une journée dans le souvenir des dames de Chaalis


 

Après un voyage en car d’une petite heure depuis l’Opéra Garnier, le groupe de 35 personnes de 9ème Histoire allait alors découvrir en cette enfin belle journée du 15 juin, le domaine de Chaalis où se cachent dans un magnifique parc de près de 1 000 ha  les ruines de l’abbaye royale, la chapelle Sainte-Marie, la roseraie, l’orangerie (non visitable) et enfin le beau bâtiment édifié au XVIIIe siècle par Jean Aubert qui abrite désormais les collections d’œuvres d’art de près de 4 000 objets rassemblés au début du XXe siècle par Nélie Jacquemart (elle avait abandonné en effet son vrai prénom « Cornélie » qu’elle n’aimait pas !).

Auparavant il convenait de rappeler pourquoi 9ème Histoire pensait intéressant de visiter ce site encore souvent méconnu. Avant d’accéder aux deux pavillons du XVIIIe siècle encadrant l’entrée du domaine, Didier Chagnas et Emmanuel Fouquet ont pu ainsi expliquer en quoi ce site avait entretenu des liens avec notre arrondissement. On le doit en fait à deux femmes éprises d’art qui ont donné une nouvelle vie à une abbaye tombée presque à l’abandon au moment de la Révolution.

Rose Augusta Paméla Hainguerlot (1802-1881) d’abord, fille du fondateur de la compagnie de l’Ourcq et épouse du député lors de la Monarchie de Juillet, Alphée Bourdon de Vatry, dont la fortune lui a permis d’acheter en 1850 le domaine, alors qu’ils habitaient un hôtel particulier au niveau du 20 rue Notre Dame de Lorette (après avoir résidé 8 rue de Londres - l’actuel siège de Google) où elle donnait là de brillantes réceptions.

Nélie Jacquemart (1841-1912) ensuite, d’origine assez modeste par sa mère modiste et son père au service justement d'Alphée de Vatry, que la femme de celui ci avait prise sous sa protection. Madame de Vatry la recevait en effet souvent l'été à Chaalis durant la jeunesse de Nélie Jacquemart qui allait commencer alors à développer ses talents de portraitiste (son autoportrait se trouve au musée Jacquemart André à Paris). Nelie Jacquemart a aussi habité un temps rue de Laval (l’actuelle rue Victor Massé).


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Portrait de Rose Augusta Paméla Hainguerlot et Autoportrait de Nélie Jaquemart.
 

Il ne faut pas oublier non plus Édouard André (1833-1894), fils d’un riche banquier protestant, député et soutien de Napoléon III, collectionneur et mécène, président de l’Union centrale des arts décoratifs, à l’origine du grandiose hôtel particulier du 158 boulevard Haussmann (aujourd’hui musée Jacquemart André). Il sera un important donateur en 1893 de l’Union Chrétienne des Jeunes Gens (UCJG), d’obédience protestante, première association de jeunesse créée en France établie au 14 rue de Trévise. Nélie Jacquemart en a fait son portrait et l’épousera en 1881.  


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Le site de l'Abbaye de Chaalis. © D. Bureau.
 

En arrivant à l’entrée du parc après avoir longé cette particularité géologique qu’est la Mer de Sable d’Ermenonville (devenue parc d’attraction en 1963), le groupe de 9ème Histoire se scinde en deux et commence par parcourir les vestiges très romantiques de l’ancienne abbatiale aux proportions visiblement très importantes (82 m de long et 40 m de large). Cette abbaye cistercienne fondée en 1137 par Louis VI dit le Gros, roi capétien dont la résidence royale se situait non loin à Senlis, allait connaître son apogée au XIIIe siècle avec les nombreuses dépendances que constituaient ses granges monastiques (en réalité des fermes) et qui lui assuraient d’importants revenus.

Après un certain déclin au XVe siècle, le règne de François Ier allait redonner vie à Chaalis avec l’arrivée en 1541 d’un abbé commendataire, l’archevêque de Milan, Hippolyte d‘Este, proche du roi de France. Notre guide nous explique alors qu’après le Concordat de Bologne en 1516, la mise en « commende » signifie que l’abbé n’est plus nommé par la communauté des moines mais par le roi lui-même.

Hippolyte d’Este entreprend ici d’importants travaux d’agrandissement et de rénovation dans le vain espoir de faire venir François Ier…  C’est ainsi qu’il fait venir l’architecte italien Sebastiano Serlio dont on voit encore le mur de clôture crénelé du jardin (l’actuelle roseraie) et surtout le peintre Le Primatice qui va réaliser dans la chapelle Sainte-Marie de style gothique, la magnifique fresque de l’Annonciation sur le mur intérieur du fond, et la peinture des saints figurant sur les voûtains de la haute nef. Ces peintures ont d’ailleurs fait l’objet d’une restauration réussie en 2006.


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L' Annonciation de Le Primatice - © D. Bureau.

Notre guide nous montre à cette occasion la tombe de Nélie Jacquemart placée à droite de l’autel, dont le gisant la représente avec la palette à la main.

Il était temps, après avoir franchi le portail surmonté des armes d’Hippolyte d’Este (martelées lors de la Révolution), de pénétrer dans la charmante roseraie à proximité, créée il y a presque un siècle et réaménagée en 2000. Celle-ci jouxte au sud les serres de l’ancien jardin mais a sans doute souffert des dernières grosses pluies qui ont endommagé un certain nombre de roses. 


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L'un des groupes de 9ème Histoire dans la roseraie. © D. Bureau.
 

Avant de rejoindre l’ancien bâtiment conventuel rebâti donc au XVIIIe siècle, notre guide nous indique qu’auparavant, comme l’ancien cloître accolé à l’abbatiale était en piteux état à la fin du XVIIe siècle, il avait été alors décidé de le reconstruire.

Le projet de Jean Aubert est très coûteux et commence seulement à voir le jour en 1752.  Le grand corps de logis de style classique au nord avec ses arcades en plein cintre au rez-de-chaussée et ses avant-corps à bossages, est constitué de deux hautes galeries superposées. Les salles communes à la vie monastique s’ouvrent sur la galerie du rez-de-chaussée et dans celle de l’étage sont alignées les cellules des religieux. Deux ailes devaient relier ce grand bâtiment à l’église au sud mais elles ne furent jamais achevées faute d’argent.

L’époque révolutionnaire va accélérer la décrépitude du site : l’abbaye ne comptait plus qu’une douzaine de moines et sera alors vendue comme « bien national », l’église presque démontée pierre à pierre au début du XIXe (qui seront réutilisées pour construire notamment le moulin non loin).

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Fresques de Le Primatice sur les voutains de la haute nef  -  © D. Bureau.
 

Il faut donc attendre l’arrivée en 1850 de Rose Paméla Hainguerlot, épouse d’Alphée de Vatry, qui pendant trente années va effectuer une série impression-nante de travaux. L'aile ouest du bâtiment principal, restée inachevée depuis le XVIIIe siècle, est détruite ainsi que d'autres bâtiments annexes pour conserver et restaurer seulement le grand bâtiment nord appelé désormais le « château ».  L’orangerie et les écuries attenantes vers l’entrée du parc seront aussi édifiées à cette époque. La chapelle Sainte-Marie est restaurée à l’extérieur à la façon de Viollet Le Duc, ainsi que les vitraux et les fameuses fresques intérieures par Paul Blaze. Sur les murs de la nef sont ajoutés des blasons de manière un peu moins heureuse …


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La Galerie.
 

Nous pénétrons alors dans le bâtiment avec la galerie de plus de 70 m (aussi longue que la Galerie des Glaces à Versailles !) meublée dans l’encadrement des fenêtres par de nombreuses commodes pour la plupart Renaissance sur lesquelles sont posés des bustes. La galerie du rez-de-chaussée distribuait côté nord les salles communes à la vie monastique, comme les cuisines, le réfectoire, la bibliothèque, etc.  Madame de Vatry les transforme pour en faire des salons de réception où viendront par exemple Théophile Gautier, Gérard De Nerval ou encore Ludovic Halévy … 

Notre guide évoque ensuite la place de Nélie Jacquemart dans la conservation du lieu. Celle-ci ci avait cessé de peindre dès son mariage avec Édouard André et à la mort de celui-ci en 1894, n’avait de cesse de trouver un endroit pour loger les collections d’œuvres réunies par son mari, mais aussi les siennes acquises notamment lors de ses nombreux voyages. En 1902, lors de son séjour en Inde, elle apprend la mise aux enchères du domaine qui lui est cher parce que lié à ses souvenirs d’enfant, propriété à ce moment -là de la famille du Prince Murat.
Pour arriver à ses fins, de retour en France, elle fait croire qu’elle se trouve en Angleterre et qu’elle ne s’intéresse donc pas à cette vente pour éviter que les enchères ne montent trop, mais en définitive achète la propriété et tous les biens qui s’y trouvent. Elle récupère ainsi en même temps la collection Vatry-Murat …   

Elle modernise le bâtiment en y installant l'électricité et le chauffage central, remodèle totalement le rez-de-chaussée, particulièrement la salle à manger et la bibliothèque et crée des nouveaux salons pour accueillir la multitude d’œuvres qu’elle possède, comme la salle de billard ou le salon oriental appelé aussi salon indien avec ces tapis persans et ses fauteuils recouverts d’argent, à l’extrémité de la galerie.  C’est ainsi que l’on peut notamment voir, en déambulant devant ces pièces réaménagées, une quantité de meubles de style Boulle, de fauteuils Régence ou Louis XV ainsi que diverses pièces de porcelaine ou de nombreux tableaux de maîtres de différentes époques.


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Chambre de Nélie Jaquemart

 

A l’étage, en empruntant un bel escalier de pierre décoré aussi de tableaux, on aboutit aux appartements privés, normalement fermés au public non accompagné. La découverte du boudoir et de la grande chambre de Nélie Jacquemart avec ses portraits aux murs et ses curieuses colonnes amovibles (!) est assez émouvante car figés dans un temps révolu. L’ancienne chambre de Madame de Vatry a été transformée en salle de bains de couleur bleue avec une baignoire ayant conservé ses beaux robinets courbes et ses sonnettes d’appel aux domestiques … 

Le temps imparti à notre visite commençant à manquer, il fallut accélérer le pas pour arpenter la galerie supérieure couverte de tableaux Renaissance italienne ou flamands mais aussi le célèbre tableau de Richelieu par Philippe de Champaigne. Dans cette galerie s'ouvraient les cellules des moines au XVIIIe siècle qui sont devenues progressivement des chambres pour les invités, richement meublées. En escamotant malheureusement faute de temps l’espace J.J. Rousseau hébergé ici en mémoire de l’écrivain qui avait séjourné à proximité, on regagne alors la « salle des moines » à l’entrée du rez-de-chaussée, d’abord cuisine des moines au XVIIIe siècle, puis transformée par Madame de Vatry pour les réceptions d’après chasse-à-courre. Nélie Jacquemart-André en a fait ensuite son salon-musée personnel où elle y installe là des œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance. C'est là que se trouvent notamment les deux superbes tableaux de Giotto récemment restaurés faisant partie d’un ensemble aujourd’hui dispersé.


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Les deux tableaux de Giotto.
 

Après avoir appris que tout cet ensemble, à la mort de Nélie Jacquemart en 1912, sera légué à l’Institut de France qui en fait un musée ouvert au public dès 1913 (comme celui du boulevard Haussmann), le groupe de 9èmeHistoire rejoint alors la sortie, à la fois sous le charme du lieu et quelque peu abasourdi par la quantité d’œuvres réunies ici. 


Emmanuel FOUQUET
 

© 9ème Histoire - 2018


Date de création : 18/06/2018 • 17:07
Catégorie : - Echos du Terrain
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