En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés. Mentions légales.
 
 
 
 

Chaussée d'Antin au XVIIIe

©A. Boutillon 2009 © 9e Histoire 2009 - 2014

UN HAUT LIEU PARISIEN

LA CHAUSSÉE D'ANTIN NOUVEAU QUARTIER À LA MODE AU XVIIIe SIÈCLE

A l’aube du XVIIIe siècle, ce qui deviendra le quartier de la Chaussée d’Antin n’est encore qu’une vaste zone rurale, où subsistent quelques marécages, vestiges du marais Gaillon, également appelé marais sous Montmartre, que les chanoines de Sainte Opportune ont commencé à assécher au XIIe siècle. Ces terres inondées provenaient du bras mort que la Seine, en glissant vers son lit actuel, avait laissé derrière elle. Petit à petit, il n’en resta plus qu’un ruisseau, dit le ru de Ménilmontant, qui sera transformé en égout à ciel ouvert, avant d’être couvert, à partir de 1771, et de devenir la rue de Provence. Quelques exploitations maraîchères ponctuent çà et là ce territoire, telle la ferme de l’Hôtel-Dieu ou celle des Mathurins, ces derniers possédant la majeure partie des terres.

A la lisière nord du futur quartier se dresse le château du Coq, dont l’origine remonte au Moyen Age : une famille, les Pocheron, possédait un grand nombre de maisons et de terres entre le Roule et la Grange Batelière, domaine qui allait bientôt constituer un véritable petit hameau ; celui-ci prendra, par déformation, le nom de village des Porcherons, nom qui sera étendu au chemin le bordant et qui deviendra notre rue Saint-Lazare. Au XIIIe siècle, les Pocheron se feront construire sur cette rue, face au chemin conduisant à Clichy, une grosse maison fortifiée, qu’on appellera alors le château des Porcherons.

Au siècle suivant, le domaine appartient à Jean Le Cocq II, issu d’une famille de magistrats au Parlement  et dont le père avait été anobli en 1363. L’ancienne maison de la famille Pocheron devient le château du Coq, désigné encore parfois du nom de château des Porcherons, et sa notoriété est telle que la future rue de Clichy s’appellera longtemps rue du Coq.

En 1461, en revenant de Saint-Denis, où il a assisté à un service funèbre à la mémoire de son père, après s’être fait sacrer à Reims, Louis XI y passera deux nuits avant de faire son entrée solennelle dans Paris le 31 août. Le château est alors la propriété de Jean Bureau, dont la petite-fille épousera Gérard Le Cocq IV.  Revenu ainsi dans la famille Le Cocq, le château en restera la propriété jusqu’au XVIIIe siècle. (1).

Un nouveau quartier hors les murs

Pendant la minorité de Louis XV, la cour se fixe à Paris.  En 1720, « le Roi étant de l’avis de Monseigneur le duc d’Orléans ordonne l’établissement d’un nouveau quartier entre la Ville-l’Evesque et la Grange-Batelière, jusqu’à la rue des Porcherons ».

Ce futur quartier est alors traversé, du sud au nord, par un chemin tortueux qui, franchissant le Grand Égout, va de la porte Gaillon à la barrière des Porcherons. On l’appelle le Chemin des Porcherons ou de l’Égout-de-Gaillon, ou encore de la Chaussée-de-Gaillon. En effet, il est longé, dans sa partie sud, par un branchement du Grand Egout, de sorte que le sol y est détrempé en permanence. Un arrêté est pris, dès 1720, en vue de redresser « le chemin Gaillon jusqu’à la barrière des Porcherons » (2).

Cette nouvelle voie sera désignée, selon les plans et les époques, sous différents noms : de l’Hôtel-Dieu,  car conduisant à la ferme du même nom, de la Chaussée-de-Gaillon, ou encore de la Grande Pinte (3).

L’urbanisation du quartier débutera réellement dans les années 1760, lorsque les champs cultivés commenceront à céder la place aux  terrains constructibles, attirant les spéculateurs. Bientôt, aristocrates, financiers et artistes s’y feront construire  des demeures somptueuses. Parmi les architectes qui ont œuvré ici, on trouve principalement Alexandre Théodore Brongniart (1739-1813), et Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806).

L’hôtel Hocquart de Montfermeil

C’est Ledoux qui ouvre le ban, dès 1764, en édifiant pour Jean-Hyacinthe Emmanuel Hocquart (1727-1778), seigneur puis marquis de Montfermeil, président de la Chambre des requêtes, un pavillon à l’angle du Chemin de la Grande-Pinte et de la rue Saint-Lazare, pour lequel il va s’inspirer  de la Villa Rotonda de Palladio ; la façade principale est ornée de pilastres ioniques, tout comme les murs des quatre pièces disposées autour du salon central.  Pour l’intérieur, Ledoux utilisera des décors rocaille provenant du château de Gagny, propriété de la mère de M. Hocquart, récemment démoli. Le fils du marquis, Jean-Hyacinthe Louis héritera de l’hôtel, mais, ayant émigré en 1790, il verra sa maison confisquée (4).

Mme de Montesson et le duc d’Orléans

Tandis que Ledoux finit de construire le pavillon Hocquart, Brongniart achète, en 1765, diverses parcelles aliénées par les Mathurins. Il les revendra avec une forte plus-value et l’obligation, pour les acquéreurs, de lui confier  la construction de leur maison.

Entre 1769 et 1773, il édifie trois hôtels voisins. Le premier que nous évoquerons est celui de la marquise de Montesson (1738-1806), qui avait son entrée à hauteur du 40 de la rue de la Chaussée d’Antin, et qui s’étendait jusqu’aux rues Taitbout, de Provence et Lafayette (5). La marquise venait de perdre son mari, qu’elle avait épousé à seize ans, alors qu’il en avait soixante-sept. Peu de temps avant son veuvage, elle était devenue la maîtresse du duc d’Orléans Louis-Philippe, dit le Gros, veuf lui-même depuis dix ans, de sorte que rien n’empêchait le couple de se marier, rien, sauf le bon vouloir du roi. Le duc d’Orléans, en effet, était prince du sang et ne pouvait donc qu’épouser une personne de son rang. Louis XV finit par consentir au mariage, à condition qu’il se fît secrètement et morganatiquement (6).

1.png

A la même époque, Brongniart est chargé de construire un hôtel pour le duc d’Orléans, en collaboration avec Henri Piètre, architecte ordinaire du prince, communiquant avec celui de Mme de Montesson. C’est une immense propriété, entre la rue de Provence et la rue Taitbout, sur laquelle seront aménagés un jardin anglais, des bosquets, des serres et un théâtre. Le duc d’Orléans s’installera définitivement dans son hôtel de la Chaussée d’Antin en 1780, laissant le Palais-Royal à son fils, le duc de Chartres, futur Philippe-Egalité, sous forme d’avance sur hoirie. Mais c’est au château de Sainte-Assise, propriété de sa femme en Seine-et-Marne, que la mort le surprendra, en 1785.

Restée veuve pour la seconde fois, encore belle à quarante-sept ans, la marquise de Montesson va vivre un nouvel amour  avec le comte de Valence-Timbrunne, qui a vingt ans de moins qu’elle.  Elle lui fera cadeau, en 1786, de 600.000 livres pour acheter un hôtel voisin, en fait le tout premier des trois  édifiés ici par Brongniart et qui occupait l’emplacement de l’actuel 52 de la rue de la Chaussée d’Antin.

L’hôtel de Montmorency

En 1769, Ledoux a été pressenti par le promoteur Lenormand de Mézières pour bâtir, sur la rue Basse-du-Rempart (7), au coin de la Chaussée d’Antin, une maison pour le prince de Montmorency. Le plan qu’il a imaginé sort de l’ordinaire, non pas tant par les deux façades semblables, une sur chaque rue, assez classiques, agrémentées de colonnes ioniques et surmontées de statues des connétables de Montmorency, que par l’angle en demi-rotonde qui les réunit et par où se fait l’entrée. A l’intérieur, les pièces sont distribuées autour d’un espace central éclairé par le haut. Un vaste salon ovale est décoré de lambris réalisés par Joseph Métivier sur des dessins de Ledoux (8).

Le Temple de Terpsichore

En 1770, c’est Marie-Madeleine Guimard (1743-1816), l’une des vedettes de la danse parmi les plus célèbres de son temps et grande impure devant l’Eternel, qui commande à Ledoux un hôtel. Elle se fait entretenir depuis plusieurs années par le maréchal de Soubise, et c’est grâce aux libéralités de ce prince qu’elle va pouvoir s’installer dans ce nouveau quartier à la mode.

La porte, précédée d’un porche soutenu par quatre colonnes, est surmontée du Triomphe de Terpsichore, longue frise sculptée en bas-relief par Félix Leconte, où la Muse joue de la harpe, assise dans un char traîné par des Amours et précédé par des Bacchantes ; derrière le char viennent les Grâces, suivies de musiciennes, tandis que des faunes jouant des cymbales ferment le cortège. Dans le cul-de-four au-dessus du porche, un groupe en ronde-bosse de six pieds de haut, du même Leconte, représente Terpsichore couronnée sur terre par Apollon

Au-dessus du passage d’entrée, dans le bâtiment sur rue, se trouve le théâtre, dont la salle ovale peut accueillir cinq cents  personnes ; ici encore, Ledoux s’est inspiré de Palladio et de son théâtre olympique. Le plafond est orné d’une peinture d’Hugues Taravel. Jean-Honoré Fragonard avait fourni, pour le grand salon, quatre compositions mythologiques peintes sur des panneaux amovibles, où la Muse de la danse était représentée sous les traits de la maîtresse des lieux. A la suite d’un différend avec sa cliente, il abandonnera le chantier et c’est Jacques-Louis David qui prendra la relève.

2.png

La défection du maréchal de Soubise, en 1782 (9), obligera Marie-Madeleine à réduire son train de vie et, en 1785, elle mettra en loterie son temple de Terpsichore. La vente des billets eut un tel succès que la danseuse put, semble-t-il, racheter sa maison à la personne qui l’avait gagnée et la revendre, l’année suivante, au banquier Perrégaux (10).

L’Hôtel Necker

En 1775, le banquier Jacques Necker achète deux terrains à la Chaussée d’Antin, sur lesquels il charge Mathurin Cherpitel de lui construire un hôtel, adjacent à la maison de la Guimard. Mme Necker y recevra tous les beaux esprits de l’époque ; à ces réceptions on peut voir la jeune Germaine, future Mme de Staël, qui, à seulement quatorze ans, converse déjà brillamment avec les hôtes de sa mère. Les Necker ajouteront quelques années plus tard à leur propriété un petit hôtel relié par un cul-de-sac à la rue Basse-du-Rempart. En 1798, ils revendront le tout (11) à un autre banquier, Jacques-Rose Récamier et son épouse Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde, dite Juliette (12)

Sous le Directoire et le Consulat, Juliette y donnera des bals fastueux. Au début de l’Empire, cependant, mal en cour et gênés financièrement, les Récamier céderont leur propriété au richissime banquier François Mosselman. (13)

L’Hôtel Radix de Sainte-Foy

C’est aussi en 1775 que Brongniart reçoit de Bouret de Vézelay, trésorier général de l’Artillerie et du Génie et grand spéculateur, commande d’un hôtel sur la rue Basse-du-Rempart. De plan carré, le logis est précédé d’une cour, avec un jardin à gauche et une terrasse surplombant le boulevard à droite.

Bouret revendra en 1779 son somptueux hôtel, aux façades ornées de bas-reliefs de Clodion,  à Maximilien Radix de Sainte-Foy, personnage peu recommandable, qui s’était enrichi dans l’agiotage.  Devenu surintendant de la maison du comte d’Artois, accusé d’avoir détourné les fonds qui lui avaient été confiés, il n’évita l’arrestation qu’en s’enfuyant en Angleterre (14).

Le couvent des Capucins

De plus en plus de gens venant s’établir dans ce nouveau quartier, on s’avisa que nulle église ne le desservait et que les fidèles n’avaient d’autre choix que de se rendre à la Madeleine de la Ville-l’Evêque ou à Notre-Dame-de-Lorette, l’une et l’autre assez éloignées. En 1779, Louis XVI va donc ordonner la création d’une chapelle, qui sera desservie par des pères Capucins. Ceux-ci, qui avaient  leur couvent rue Saint-Honoré, possédaient également un noviciat du côté de Port-Royal ; c’est ce dernier qui sera transféré à la Chaussée d’Antin.

3.png

C’est à Brongniart qu’il incombera de construire, en 1780, le nouveau couvent et sa chapelle, sur des terrains compris entre la rue Saint-Lazare et le Grand Egout et s’étendant à l’ouest par un grand jardin jusqu’à la rue de l’Arcade ; pour le border à l’est, on créera la rue Sainte-Croix d’Antin, dans le prolongement de la rue Thiroux (15). La placette servant de dégagement au couvent et les immeubles à pan coupé qui en occupent les angles sont  probablement aussi du dessin de Brongniart.

Achevé en 1782, le couvent est de style néo-classique. Le bâtiment d’entrée, orné de  bas-reliefs de Clodion, est flanqué de la chapelle à gauche et d’un bâtiment conventuel à droite, surmontés l’un et l’autre d’un fronton triangulaire et encadrant le cloître. Les statues qui devaient garnir les niches de la façade ne seront jamais réalisées. L’église n’a qu’un seul bas-côté, conformément à la tradition franciscaine.

Le 25 novembre, le cloître et l’église sont solennellement bénis par l’archevêque de Paris.  Cependant, ce n’est que le 15 septembre 1783 que les Capucins quitteront la rue Saint-Jacques en procession pour venir occuper leur nouveau couvent. Une nouvelle rue est créée dès 1780, la rue Neuve des Capucins : partant du couvent, elle relie la rue Sainte-Croix à la  rue de la Chaussée d’Antin ; c’est la future rue Joubert. En 1785, l’architecte François-Joseph Bélanger y achètera un terrain pour y construire une maison  vouée à la location ; il y installera un moment sa future femme, Anne-Victoire Dervieux. (16).

La manufacture de la rue Thiroux

Quelques années plus tôt, en 1776, un certain André-Marie Lebeuf avait installé une fabrique de porcelaine dans une élégante maison de la rue Thiroux, construite par André Aubert (17).

Afin de se mettre à l’abri des tracasseries suscitées par la manufacture royale de Sèvres, jalouse de son privilège, les porcelainiers indépendants se plaçaient sous la protection de membres de la famille royale. C’est ainsi que la manufacture de la rue Thiroux était dite  de la Reine, car Marie-Antoinette lui avait accordé son patronage, assorti de l’autorisation, à partir de décembre 1778, de marquer l’envers de chaque pièce d’un A couronné.

Les maisons de la rue de Caumartin

En 1779, le fermier général Charles-Marin Delahaye avait acquis, dans un but spéculatif, en association avec l’architecte expert André Aubert, des terrains appartenant aux Mathurins ; c’est sur ces terrains qu’allait être prolongée la rue Thiroux, sous le nom de Caumartin.

Aubert construira pour Delahaye, à l’angle des rues de Caumartin et Basse-du-Rempart, un hôtel en rotonde, avec un toit en terrasse aménagé en jardin suspendu agrémenté de fabriques et d’un ruisselet, qu’enjambent deux petits ponts chinois et qui alimente en eau les salles de bains et les salles à manger de l’hôtel.

En face, formant l’autre angle du futur boulevard des Capucines, se trouve l’hôtel du duc Louis-Marie-Guy d’Aumont de Rochebaron (18), également construit par Aubert, orné de guirlandes et de hauts-reliefs.

La rue Chantereine

A l’est de la rue de la Chaussée d’Antin s’étendait une zone de marais appartenant aux Mathurins, dont Bouret de Vézelay, en spéculateur avisé, allait acheter une partie importante en 1776 afin de la lotir en parcelles.

C’est là qu’en 1777, jalouse du Temple de Terpsichore que Ledoux a construit pour Mlle Guimard, Anne-Victoire Dervieux, elle aussi danseuse à l’Opéra et autre grande impure, demandera à Brongniart de lui édifier un hôtel sur trois terrains contigus que le maréchal de Soubise, son principal entreteneur (19), lui a offerts sur la rue Chantereine (20).

Au fond d’une grande cour d’honneur, la maison présente une façade ornée de quatre colonnes corinthiennes s’élevant du rez-de-chaussée jusqu’à l’attique. L’arrière, en demi-rotonde, donne sur un grand jardin, qui s’étend jusqu’à la rue Saint-Lazare et où ont été aménagées des grottes, des berceaux de verdure et des charmilles

En1785, trouvant que sa demeure n’est plus assez luxueuse, Anne-Victoire Dervieux fera appel, pour l’embellir, à Bélanger, qui deviendra son amant, avant de l’épouser en 1794 (21).

C’est aussi en 1777 que Pérard de Montreuil édifie, rue Chantereine, un hôtel où viendra s’installer trois ans plus tard une autre danseuse, Julie Carreau (22). Sur cette maison, voir, dans le présent bulletin, l’article de Bernard Chevallier.

Le Palais Thélusson

En 1778, Ledoux reçoit commande d’un hôtel, qui sera le plus célèbre de la Chaussée d’Antin, celui de la richissime veuve du banquier genevois Georges-Tobie Thélusson. Le début des travaux sera laborieux, car le sol marécageux, entre l’égout, devenu depuis peu rue de Provence, et la rue Chantereine, nécessitera la mise en place de deux batteries de pompes et des fondations spéciales afin d’éviter l’inondation des sous-sols.

Le terrain fermait la perspective de la rue d’Artois (23), nouvellement percée, ce qui permettra à Ledoux de théâtraliser la construction, avec l’arc monumental du portail en guise d’entrée de scène et la maison en fond de décor. Pour cet arc, Ledoux s’est inspiré de l’antiquité, allant jusqu’à l’enterrer à moitié, comme s’il émergeait d’un champ de ruines non encore déblayé.

4.png

Aussitôt franchi cet étonnant portail, on se trouve dans le jardin, dont la partie centrale a été creusée en forme de grotte, sur laquelle est bâti l’hôtel. Perché en saillie sur cette grotte, le salon en rotonde évoque le temple de Tivoli sur son rocher. Les carrosses, empruntant l’une des deux allées latérales du jardin, pénètrent sous l’hôtel par un vestibule à colonnes, où ils déposent leurs passagers au pied du grand escalier qui mène à l’étage noble, ce qui évite aux visiteurs d’être exposés aux intempéries.

L’hôtel est achevé en 1781, mais Mme Thélusson n’aura guère le temps de s’y installer : en mars de la même année, elle succombe à une inoculation antivariolique.

La célébrité de cette demeure insolite attira les

curieux ; des architectes étrangers en voyage d’étude venaient en prendre des croquis. Au printemps 1782, l’affluence y était telle qu’on ne pouvait y entrer que muni d’un billet (24).

Les Maisons Hosten

En 1792, Ledoux reçoit une grosse commande pour la rue Saint-Georges. Elle émane d’un créole, Jean-Baptiste Hosten, planteur à Saint-Domingue, qui veut faire construire un grand ensemble comprenant un hôtel particulier pour lui-même et quinze  petites maisons  le tout groupé autour d’un jardin naturel, avec des cours reliées entre elles par des passages couverts. Seules quatre maisons sur les quinze projetées seront construites. L’hôtel principal, terminé en 1795, a été luxueusement aménagé, avec, notamment de grands paysages d’Hubert Robert, ainsi qu’un salon au magnifique décor néo-antique (25).

Que reste-t-il de tout cela ?

De toutes ces demeures souvent fastueuses il ne reste presque rien. Elles ont, pour la plupart, été détruites lors de travaux d’urbanisme. Les réalisations de Ledoux ont entièrement disparu. De Brongniart seul demeure le couvent des Capucins, affecté au Lycée Condorcet, de même que sa chapelle, devenue l’église paroissiale Saint-Louis-d’Antin. Rue Joubert, au numéro 20, la maison de Bélanger est encore là, malgré de nombreuses altérations. Enfin, les deux hôtels d’Aubert semblent toujours monter la garde, à peu près intacts, aux deux angles de la rue de Caumartin.

5.png

Hôtel de Montmorency

Aline BOUTILLON

Notes

(1) Il occuperait aujourd’hui l’espace entre les rues Saint-Lazare, de Caumartin et Joubert ; l’avenue du Coq, ouverte à l’emplacement de son entrée principale, nous en a conservé le souvenir Au décès du dernier Le Cocq, le château  est acquis en 1738 par le duc d’Aumont qui le revendra, deux ans plus tard, au duc Louis de Brancas ; celui-ci y installera Mlle Pouponne, figurante de l’Opéra. Abandonnée à la Révolution, la propriété tombera peu à peu en ruine. Ses derniers vestiges disparaîtront vers 1860.

(2) Jusqu’à la construction du mur des Fermiers généraux, la rue de la Chaussée d’Antin était fermée, à son débouché sur la rue Saint-Lazare, par une barrière d’octroi, dite  barrière des Porcherons.

(3) Depuis l’installation, en 1724, du cabaret de la Grande Pinte, au-delà de la rue des Porcherons, à l’emplacement de l’actuelle église de la Trinité, la section du chemin Gaillon  au nord de l’égout sera souvent indiquée  sous le nom de Chemin de la Grande Pinte. En 1763, le plan de Deharme indique : Chemin de la Grande Pinte ou Chemin de Gaillon ou Dantin, première référence au futur nom de la rue, dû au duc d’Antin, dont l’hôtel se trouvait de l’autre côté du nouveau boulevard, et qui aurait fait surélever ce chemin pour le rendre praticable. C’est sous le nom de rue de la Chaussée d’Antin que la surprend la Révolution, qui va se dépêcher de le lui changer : le 5 avril 1791, en effet, décision est prise de donner à la rue le nom de Mirabeau, qui vient d’y mourir. Deux ans plus tard, le tribun n’est plus en odeur de sainteté et la rue est rebaptisée du Mont-Blanc. Elle reprendra définitivement son nom de Chaussée d’Antin en 1816. Quant à la maison mortuaire de Mirabeau, située au 42 de la rue,  elle a été reconstruite en 1836.

(4) En mars 1800, la demeure sera achetée par Joseph Fesch, oncle maternel de Bonaparte, qui sera fait cardinal en 1803. Grand amateur d’art, il avait réussi à se constituer une collection de tableaux, appelée à devenir l’une des plus riches de France ; pour la mettre en valeur, il fera l’acquisition, quelques années plus tard, de la maison voisine, l’actuel numéro 68 de la rue de la Chaussée d’Antin, qu’il réunira au pavillon Hocquart par des constructions intermédiaires. Cette maison, construite en 1770, avait appartenu à l’architecte Guillaume Elie Le Foulon et son épouse Marie-Constance Cucu de Rouville. C’est sans doute grâce à sa vente, en 1774, que les époux Le Foulon purent acquérir la folie La Bouëxière, dont le propriétaire était justement leur  voisin, le président Hocquart de Montfermeil, neveu et héritier de  Gaillard de La Bouëxière. Dans son hôtel, le cardinal Fesch fera aménager, du côté de la rue Saint-Lazare, une chapelle, « afin de ranimer par de bons exemples le feu sacré de la Religion et de multiplier les secours spirituels dans un quartier qui en était presque totalement privé », ainsi qu’il l’écrira à Napoléon en 1807. La partie de l’hôtel provenant du bâtiment édifié par Ledoux sera démolie sous le second Empire lors de l’aménagement de la place de la Trinité et remplacé par un grand immeuble. Il reste un vestige, au fond de la cour du 68, de l’hôtel construit par Le Foulon. Un autre hôtel de Ledoux, jouxtant celui de Hocquart, construit en 1769 pour Mlle de Saint-Germain, tombera aussi sous le pic des démolisseurs.

(5) À la mort de la marquise, en 1806, l’hôtel est acheté par le financier Gabriel Ouvrard, qui le revendra  au prince de Schwartzenberg, ambassadeur d’Autriche. Le 1er juillet 1810, lors d’un grand bal en l’honneur du mariage de Marie-Louise avec Napoléon, un incendie se déclara, au cours duquel plus de cent personnes furent brûlées vives. La cité d’Antin sera créée en 1830 à son emplacement.

(6) La cérémonie eut lieu le 24 avril 1773 dans la petite chapelle de l’hôtel du Plessis-Châtillon, contigu  au Palais-Royal,  où le prince avait installé son faux ménage, et auquel il accédait par une porte qu’il avait fait percer dans le mur de son appartement.

(7) Entre la Madeleine à la rue de la Chaussée d’Antin, en contrebas du boulevard, la rue Basse-du-Rempart correspondait au fossé de l’ancienne enceinte. Elle disparaîtra au milieu du XIXème siècle, emportée, avec ses maisons, par les travaux d’aménagement de la place de l’Opéra et de ses abords.

(8) Ils se trouvent aujourd’hui au Boston Museum of Fine Arts. C’est à l’emplacement de cet hôtel que sera construit, en 1868, chassé de la place de la Bourse par le percement de la rue du Dix-Décembre (devenue du Quatre-Septembre), le théâtre du Vaudeville, aujourd’hui transformé en cinéma.

(9) Le maréchal de Soubise entretenait plusieurs maîtresses en même temps mais, en 1782, entraîné dans la banqueroute retentissante de son gendre Rohan-Guéméné, il avait dû liquider son « sérail », ne gardant auprès de lui que Mlle Zacharie, nièce et élève de la Guimard.

(10) En 1844, l’hôtel, qui porte alors le numéro 9 de la rue de la Chaussée d’Antin, sera transformé une première fois pour les besoins de la banque et à nouveau en 1853 pour y installer un grand magasin de nouveautés, les « Magasins de la Chaussée d’Antin ».  En 1862, ce qu’il restait du Temple de Terpsichore sera emporté par le percement de la rue Meyerbeer.

(11) La transaction s’est faite en monnaie espagnole, afin d’éviter les assignats.

(12) M. Récamier, qui avait été l’amant de la mère de Juliette, était vraisemblablement le père biologique de sa femme ; il s’assurait, par ce mariage blanc,  de lui léguer sa fortune.

(13) L’hôtel, devenu siège de l’administration de la Compagnie du chemin de fer de Lyon connaîtra, en 1862, le même sort que celui de Mlle Guimard. Un autre hôtel qui disparaîtra pour les mêmes raisons est celui qui se trouvait au numéro 5 de la rue de la Chaussée d’Antin, qu’Hillairet, dans son Dictionnaire historique des Rues de Paris attribue à Brongniart, mais qui serait en réalité, selon ses biographes, l’œuvre de Jacques Cellerier. En 1776, il a été  acheté par Mme d’Epinay, l’ancienne amie et protectrice de Jeanes Rousseau, qui y habitera avec Melchior Grimm et y accueillera Mozart pendant quelques mois, en 1778 .En 1833, quittant l’hôtel de la cité Bergère où il avait passé quelques mois, Chopin viendra  loger ici, dans une chambre qu’il occupera jusqu’en 1836.

(14) Sous l’Empire, l’hôtel est la propriété de Claude des Tillières, qui avait fait fortune en jouant à la Bourse. Il reviendra ensuite à sa fille, la comtesse d’Osmond, qui y tiendra un salon réputé. Devenu  Concert Musard en 1857, il sera démoli l’année suivante pour l’aménagement des abords de l’Opéra.

(15) L’actuelle rue de Caumartin provient de la fusion, en 1849, de trois rues : la plus ancienne était la rue Thiroux, ouverte en 1772 entre les rues Neuve-des-Mathurins et  Saint-Nicolas-d’Antin (dernière section de la rue de Provence); son prolongement vers le sud, jusqu’à la rue Basse-du-Rempart, décidé en 1779, reçut le nom du prévôt des marchands Lefebvre de Caumartin, qui en avait ordonné le percement ; prolongée une seconde fois vers le nord, cette nouvelle section s’appela rue Sainte-Croix-d’Antin, car ouverte sur des terrains appartenant à Claude-Jean de Sainte-Croix, entrepreneur du pavé des rues de Paris.

(16) Sur Bélanger et Mlle Dervieux, voir l’article  « François-Joseph Bélanger », du même auteur,  paru dans le Bulletin N° V de 9ème Histoire.

(17) Elle se situerait aujourd’hui à peu près à l’emplacement du « Printemps de la Mode », entre le boulevard Haussmann et les rues de Provence, Charras et de Caumartin.

(18) Sa fille, Louise Félicité Victoire, épousera Honoré Grimaldi, duc de Valentinois, prince de Monaco.  C’est sur le terrain de l’hôtel de Valentinois que sera créée la Nouvelle Athènes.

(19) Elle était entrée en 1769 dans le « sérail » du maréchal de Soubise.

(20) Traversant les marais des Porcherons, simple chemin boueux, bordé de cultures et de cabanes de jardiniers, c’était la ruelle Chantrelle ; en 1776, transformée en véritable rue, elle sera appelée Chantereine, par allusion aux grenouilles qui coassaient dans les anciens marais. En décembre 1797, ce nom, qui rappelait trop la royauté, fut remplacé par celui de la Victoire, en l’honneur de Bonaparte, qui résidait alors ici.

(21) Les difficultés financières que connaîtra le couple pendant la Révolution obligeront, en 1793, Mlle Dervieux à vendre  son magnifique hôtel. En 1802, il est acheté par Bonaparte pour y loger son frère Louis, qui vient d’épouser Hortense de Beauharnais. Démolie en 1867, la maison sera remplacée par la synagogue qui porte aujourd’hui le numéro 44 de la rue de la Victoire.

(22) Elle la louera puis la vendra à la vicomtesse de Beauharnais, devenue en 1796 Mme Bonaparte. La maison disparaîtra autour de 1860, emportée par le passage de la future rue de Châteaudun.

(23) Section sud de l’actuelle rue Laffitte.

(24) Le palais Thélusson sera vendu, en 1802, au prince Murat. Napoléon le lui échangera quelques années plus tard contre l’hôtel de l’Elysée et le mettra à la disposition du tsar de Russie. En 1823, la rue d’Artois sera prolongée jusqu’à la rue de la Victoire, détruisant ce chef d’œuvre de Ledoux.

(25) Le décor de ce salon a été remonté au Getty Center de Los Angeles. Quant à Jean-Baptiste Hosten, il mourra à Saint-Domingue, assassiné lors d’une révolte d’esclaves.  L’ensemble de ses maisons sera démoli à la fin du XIXème siècle.

Principales sources :

Ledoux et Paris, Cahiers de la Rotonde 3, Commission du Vieux Paris, 1979 / P. Pinon et al .Lotissements spéculatifs et formes urbaines. Le quartier de la Chaussée d’Antin à la fin de l’Ancien Régime, Nanterre, 1986 / Alexandre Gady,   Les hôtels particuliers de Paris du Moyen Age à la Belle Epoque, Editions Parigramme, 2008 / Jean-Marie Pérouse de Montclos, L’Art de Paris, Ed. Mengès, Paris, 2000 / Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des Rues de Paris, Editions de Minuit / R. de Plinval de Guillebon,  La Manufacture de Porcelaine de la rue Thiroux, dite de la Reine, 1988, S.E.H. du IXème arrondissement de Paris / Wikipédia / Plans de Paris : Delagrive, 1728 et 1740 ; Deharme, 1763 / Catherine Legros, Le château du Coq et ses abords, La Nouvelle Athènes,  Action artistique de la Ville de Paris / Félix et Louis Lazare, Dict. administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844/ Victor Champier et G.-Roger Sandoz,  Le Palais-Royal, Editions Henri Veyrier, Paris 1991.

©A. Boutillon 2009 © 9e Histoire 2009 - 2014


Date de création : 17/03/2014 • 15:51
Catégorie : - Rues & Promenades
Page lue 10888 fois