Trésors du Conservatoire
Masque de l'entrée du CNSAD - © E. Fouquet
Les trÉsors cachÉs du Conservatoire National SupÉrieur d’Art Dramatique
Si, lors de la soirée organisée le 14 mars 2019 par 9ème Histoire pour commémorer le 150e anniversaire de la mort d’Hector Berlioz (suivre ce lien), les participants ont pu pénétrer exceptionnellement dans la belle salle qu’avait tant fréquentée le célèbre compositeur pour jouer quelques-unes de ses œuvres majeures, ils n’ont pas eu le loisir d’admirer des trésors un peu cachés non loin de cette salle dans laquelle avait retenti aussi, pour la première fois en France, l’œuvre de Beethoven au début du XIXe siècle. On sait que cette salle est aujourd’hui dévolue aux élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD).
La salle du Conservatoire. © E. Fouquet
Revenons donc brièvement sur la genèse du lieu (voir également sur notre site, l’article sur Les origines du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique en suivant ce lien ): Napoléon, devenu empereur en 1804, était grand amateur de théâtre, et son admiration depuis l’époque du Consulat pour l’illustre tragédien Talma, le pousse à faire construire à partir de 1806 sur le lieu des anciens Menus-Plaisirs du Roi, une nouvelle salle de théâtre affectée au Conservatoire impérial de musique.
Plan du Conservatoire.
La même année, est créée alors au même endroit une Ècole de déclamation dont Talma va devenir un des premiers professeurs.
Portrait de Talma par H.F Riesener - © Musée Marmottan.
La salle de théâtre (longtemps appelée salle des Menus et heureusement classée en 1921) conçue à l’italienne par l’architecte François-Jacques Delannoy sera terminée en 1811. Elle est bien représentative du style inspiré de l’antique propre à l’époque impériale, avec ses fresques pompéiennes, ses guirlandes et ses colonnes striées, complétée en 1866 par le décor de scène du dispositif de concert conçu par Alexis-Joseph Mazerolle.
Des locaux annexes seront également édifiés sous le Premier Empire comme l’imposante salle dite des Colonnes au rez-de-chaussée du Conservatoire, avec un grand escalier en pierre à double volée très probablement du même Delannoy, menant à la Bibliothèque commandée dès 1801 par Chaptal, ministre de l’Intérieur.
Escalier à double volée du Conservatoire - © D. Rykner.
Au fil du temps, ces locaux allaient cependant connaître quelques évolutions.
Ainsi l’ancienne grande salle des Colonnes, devenue le hall de l’actuel CNSAD au 2 bis rue du Conservatoire, avec son portail datant de 1950, s’est vue amputée en 1919 de la partie donnant sur l’entrée située rue Bergère (réservée pendant une bonne partie du XIXe siècle aux élèves filles ! À cet endroit a alors pris place un bâtiment des PTT construit par François Lecoeur en brique et béton armé, en prolongement de son Central téléphonique de style art déco. Cette poste aujourd’hui fermée, a été remplacée par une agence financière.
Ancien Bureau de Poste rue Bergère - © E. Fouquet
De nos jours, juste après l’entrée principale de la rue du Conservatoire, complétée sur le côté intérieur par un bel escalier avec sa rampe de style art déco, les élèves comédiens peuvent encore s’attarder dans cette salle des Colonnes et contempler, adossé à un de ses murs, l’élégant haut-relief représentant Sainte-Cécile, patronne des musiciens, conçu par le sculpteur Henri Lombard, prix de Rome en 1883 et qui rappelle que ce lieu a été longtemps d’abord consacré à la musique. Dans la partie sud de cette salle, depuis 1919, est logée maintenant la bibliothèque.
On a vu que la bibliothèque se trouvait initialement à l’étage et occupait un vaste espace avec plus de 10 000 ouvrages consacrés à la musique ou au théâtre, qui feront sa renommée mondiale. Elle présentait une structure originale avec ses poutrelles peintes qui, après la démolition partielle de la bibliothèque en 1911 pour cause de vétusté, seront heureusement conservées dans le cadre de son nouvel usage aujourd’hui comme salle de répétition pour les élèves comédiens, sous le nom de salle Louis Jouvet.
La salle Louis Jouvet au CNSAD - © D. Rykner.
En haut du grand escalier sous la remarquable voûte du plafond avec ses caissons ornés de motifs floraux, on découvre surplombant l’entrée de cette salle, de magnifiques bas-reliefs qui avaient été commandés ainsi en 1809 : « Le grand bas-relief de 27 pieds de longueur sur 5 de hauteur placé au-dessus de la porte d’entrée de la salle des Exercices, représentant Minerve distribuant des Couronnes aux différentes parties d’étude de la Musique et de la Déclamation, sera modelé, moulé en plâtre et réparé sur place moyennant la somme de 4 000 F. De chaque côté du palier, les deux bas-reliefs situés dans les parties cintrées, composés chacun de deux Renommées de 6 pieds de proportion couronnant dans l’un l’aigle impérial [disparu depuis !], et dans l’autre une lyre, seront également modelés, moulés en plâtre et réparés sur place, moyennant la somme de 1 500 F pour chacun ».
Bas-relief avec lyre - © D. Rykner. Bas-relief sans aigle impérial - © D. Rykner.
Cette commande ne sera d’ailleurs pas tout à fait achevée au moment de l’inauguration du théâtre en 1811. Il convient d’ajouter qu’avait été commandée en même temps pour ce qui était à l’époque le Conservatoire impérial de musique et de déclamation, une statue d’Apollon musicien, mais l’établissement n’en connaitra que le modèle en plâtre déposé en 1812 dans la galerie de la bibliothèque. La statue en marbre se trouve elle au musée des Beaux-Arts de Bordeaux.
Statue d'Apollon musicien - © Musée des Beaux Arts Bordeaux.
Or ces différentes œuvres sont dues au sculpteur François-Frédéric Lemot (1771-1827), prix de Rome en 1790, un des plus grands représentants du style néo-classique français. C’est ainsi l’auteur du fronton de la colonnade du Louvre (face à l’église Saint-Germain l’Auxerrois) et des figures en marbre de l’Histoire et de la Renommée de la tribune de l’Assemblée nationale. C’est à lui aussi que Napoléon commanda le char doré qui accompagnait, sur l’Arc de Triomphe du Carrousel, les chevaux de Saint-Marc ramenés d’Italie (dont les originaux ont depuis été rendus à Venise), entouré de chaque côté par les deux renommées en plomb doré du même sculpteur, la Paix et la Victoire ! À noter cependant que l’empereur refusa curieusement de voir sa statue (également en plomb doré par Lemot) figurer dans le char resté donc vide à l’époque, celle-ci se trouve aujourd’hui au château de Malmaison … Sous la Restauration il réalisera la statue en bronze d’Henri IV au bout de l’île de la Cité.
Frémy - gravure de François-Frédéric Lemot - 1817 - d'après LAG. Bouchet
Un peu plus loin à gauche, au débouché du grand escalier de pierre, on donne sur l’ancien petit foyer du théâtre devenu le bureau du bibliothécaire qu’a occupé Hector Berlioz de nombreuses années à partir de 1838 (mais qui est aujourd’hui bien encombré). On y voit encore la fameuse cheminée où, deux ans avant sa mort en 1869, de désespoir après la disparition de son fils, le musicien aurait brûlé selon la légende ses propres archives … Au-dessus de celle-ci, de chaque côté du miroir, on remarque des trompe-l’œil à la manière des « grisailles » du XVIIIe siècle, représentant des scènes mythologiques sur le modèle même des bas-reliefs en stuc de Lemot du dessus de l’escalier.
Le bureau de Berlioz au Conservatoire - © D. Rykner.
On voit donc que le CNSAD possède aujourd’hui un certain nombre de trésors qui auraient pu être menacés par le projet de déménagement prévu en 2022, boulevard Berthier, pour créer une ambitieuse Cité du théâtre réunissant également la Comédie-Française et le théâtre de l’Odéon.
Salle des colonnes CNSAD - © D. Rykner.
Or, depuis le 8 octobre 2019, à la suite du dossier présenté en juillet de la même année par la Direction Générale des Affaires Culturelles d’Ile de France (DRAC) devant la Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture, un arrêté d’Inscription au titre des Monuments Historiques a été signé protégeant la salle des Colonnes au rez-de-chaussée, le grand escalier, ses paliers avec les bas-reliefs, l’ancien bureau de Berlioz et l’actuelle salle Louis Jouvet et ses poutres peintes, à l’étage. Cet arrêté d'inscription complète ainsi heureusement l'arrêté de classement au titre des monuments historiques de la salle de concert publié il y a près d’un siècle, le 16 mars 1921.
Une bonne nouvelle donc pour la protection de ce site historique et pour le patrimoine de l’arrondissement !
Emmanuel FOUQUET
© E. Fouquet - 2020 © 9ème Histoire - 2020
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