Isabelle II et le 9e
© Sylvie Ancelot - 2020 © 9e Histoire - 2020
Isabelle II, une reine d’Espagne en exil À Paris de 1868 à 1904,
assidue du 9e arrondissement
Portrait d'Isabelle II par Federico Madarazo y Kunz (Ministerio de la Hacienda Madrid)
L'histoire d'une reine « romantique »
Isabelle II a régné sur l'Espagne de 1833 à 1868. Née à Madrid le 10 octobre 1830, fille du roi Ferdinand VII et de sa quatrième épouse, María Cristina de Borbón, elle a assumé la Couronne d'Espagne dès l'âge de 13 ans pendant une des périodes les plus agitées de son histoire : le XIXe marqué par une succession de guerres carlistes, de « pronunciamientos », avec une alternance de gouvernements conservateurs et progressistes jusqu'à la révolution libérale de 1868, qui l'a obligée à s'exiler à Paris. Elle y restera jusqu'en 1904, année de son décès.
Cette reine haute en couleur a été contrainte d'accepter un mariage « d'inconvenance », sous la pression des souverains étrangers et notamment du roi de France, Louis Philippe (dont le dernier fils, duc de Montpensier, épouse Luisa Fernanda, sœur d'Isabelle II, au moment où celle-ci devient l'épouse de François d'Assise). Le mariage ne sera pas heureux et, dès leur arrivée à Paris, après 37 jours passés à Pau, la famille royale se sépare : Isabelle II s'installe provisoirement au Palais de Rohan, rue de Rivoli. Le roi consort vivra désormais éloigné de sa famille au château d'Epinay-sur-Seine.
Le Palais de Castille - © BHVP
La reine, qui est encore convaincue de sa popularité et qui a l’intention évidente de continuer à gouverner son pays depuis son exil, s'installe le 1er mars 1869 à l’Hôtel Basilewski, rebaptisé Palais de Castille, qui devient le centre de la communauté Bourbonne en exil à Paris.
En mars 1904, elle contracte une grippe et décède à Paris le 9 avril, âgée de 73 ans. Elle est inhumée à la nécropole royale de l'Escurial, dans la crypte royale.
Partagée entre la tradition et les idées nouvelles, elle porte elle-même les contradictions propres à cette Espagne en transition vers la modernité. Si elle a impulsé un grand élan modernisateur à l'Espagne (économique, financier et culturel) elle n'a pas su ou pu transformer la monarchie absolue en monarchie constitutionnelle. Elle abdique en 1870 et permet la restauration du régime des Bourbons en la personne de son fils Alfonso XII en 1874.
Itinéraires d'Isabelle II dans le 9e arrondissement
N'ayant de cesse de vouloir récupérer son pouvoir perdu, celle qui n'est plus ni reine, ni reine-mère, ni reine régente s'installe pleinement en son Palais, « le seul royaume qui (lui) reste ».
Jusqu'en 1874, elle a pour habitude de se rendre au Grand Hôtel pour saluer les militaires et politiques qui ont établi leur quartier général sur le perron. L'Hôtel est également la résidence des militaires et politiques réfugiés.
Perron du Grand Hôtel - © Sylvie Ancelot.
Au cœur des rebellions permanentes, Isabelle II ne manque pas de se distraire dans le « Hall du Grand Hôtel » et passionnée de toute forme de progrès, elle assiste à la première session de la « Lanterne magique » dans le Salon indien du Grand Café le 28 décembre 1895.
Puis, lasse des difficultés pour mener à bien son projet de retour au pouvoir, elle continue de venir au Grand Hôtel ; mais ses rendez-vous sont de nature différente. Elle apprécie de retrouver Pereire, grand collectionneur mais classique et académique, avant de partir, avec lui, et quelques courtisans, comme Guell et Sanafé, vers les grands boulevards. Elle s'arrête devant l'atelier du grand Nadar, le « photographe du Grand Hôtel », qu'elle préfère à Disdéri.
Boulevard des Italiens, ceux qui accompagnent la reine passent le relais à un autre guide : Alphonse de Rothschild, découvreur et arbitre entre artistes à Montmartre.
Éventails d'Alexandre pour la reine Isabelle II.
Éventails d'Alexandre pour la reine Isabelle II.
La « plus parisienne des reines » se prétend française, au plus grand ravissement des Parisiens. Comme eux, Isabelle II se promène quotidiennement, attentive aux transformations de la ville, touchée par sa modernité. Elle aime les passages, s'attarde dans les Magasins du Louvre, du Printemps à peine ouvert. Elle aime la mode, collectionne, en augmentant sa collection de châles, achète ses bas de laine et de soie chez Devallon, boulevard des Capucines, ses fourrures chez Dieulefait ; elle fait la réputation du chausseur Pront qui, avec son accord, accroche dans sa vitrine le panneau de « Fournisseur de la reine d'Espagne ».
Pour ses cartes royales, elle se fournit chez Stern Graveur au passage des Panoramas. Collectionneuse d'éventails (elle en avait plus de 800), elle se fournit chez les grands éventaillistes Duvelleroy (passage des Panoramas) et Alexandre (boulevard Montmartre). C'est à la salle Drouot qu'est mise en vente en juillet 1878 une grande partie de ses bijoux (estimés alors à environ 8 millions).
Dès son arrivée à Paris, en décembre 1868, la reine a souhaité se rendre avec sa famille dans les passages ; elle y est revenue régulièrement avec ses proches, comme avec celle qui allait devenir la future reine d'Espagne, Cristina de Habsbourg, en août 1879. Rothschild expliquait à la reine ce qu'était la Librairie Nouvelle, la seule de Paris ouverte jusqu'à 10 h du soir ; il arrêtait la voiture au café des Variétés, à l'entrée du passage des Panoramas où se trouvait l'auteur favori de la reine, Ponson du Terrail, créateur de Rocambole. Celui-ci évitait la taverne où venait Henri de Rochefort pour esquiver un échange avec Isabelle.
La Maison Dorée - © S. Ancelot La Maison Dorée en 1900.
Doña Isabel aime les plaisirs de la table et ses accompagnateurs lui font découvrir les étapes gastronomiques de la capitale, élément incontournable du paysage parisien, comme La Maison Dorée, un excellent restaurant au cœur du boulevard, avec son grand salon laqué et ses 16 petits cabinets particuliers, où se pressent le tout-Paris des arts et ses lettres, les têtes couronnées et la grande bicherie. Elle y est remarquée lors de dîners « historiques », avec l'ex-reine Marie Christine lors de son abdication en 1870, lorsqu'elle sollicite l'aide d'Alphonse de Rothschild, en 1876, 1878, etc...
Une reine saluée par les artistes
Quand elle arrivait dans la partie basse de Montmartre, laissant derrière elle l’élégant boulevard des Italiens, elle était heureuse de rencontrer les artistes, de faire de nouvelles rencontres qui allaient devenir régulières. À partir de 1870, Montmartre attirait en effet les artistes par sa lumière, son charme champêtre et l'effervescence artistique de ses cabarets. Mécène, découvreur de talents, celle que l'impératrice Eugénie appelait la « Dame de Montmartre » était attentive aux mouvements de la nouvelle peinture impressionniste. En 1874, elle est présente à la première exposition impressionniste chez Nadar.
« Monet et ses amis me font comprendre la jeunesse et la vitalité de la France, l'appel de temps nouveaux auxquels je n'appartiens plus. Quand eux m'expliquent leurs tableaux, ils m'inspirent le sentiment d'une seconde jeunesse.
(Isabelle II à la maréchale Mac Mahon à l'Elysée).
G. Caillebotte - Femme devant sa coiffeuse - 1873 - © Wiki Commons.
Elle a un faible pour Degas, avec qui elle aime parler de l'Espagne. Elle aime les paysages de Corot ou les songes de Courbet. Elle est conquise par Manet. Elle admire Cézanne : « Un gigantón » (un géant). Elle se passionne pour l'affaire du legs de « son ami » Caillebotte.
L'immensité - Marée basse soleil couchant - G. Courbet - 1869.
Isabelle parcourt le quartier des experts et des marchands de tableaux : elle est rue Laffitte pour la deuxième exposition impressionniste chez Durand-Ruel en 1876, en 1895 chez Ambroise Vollard pour la première exposition Cézanne, en mars 1901 pour celle de Van Gogh, en juin 1901 pour celle de Pablo Picasso.
Elle fréquente les ateliers. Le Comte de Sanafé l'emmène aux Folies Bergère pour voir Manet peindre. Elle admire Le Moulin de la Galette de Renoir. Elle est aux tertulias du café Guerbois. Elle aime la Brasserie des Martyrs. Elle ne se lasse pas d'escalader cette rue des Martyrs jusqu'à la place du Tertre ; elle est populaire à la terrasse du Singe qui rit ou chez Eugène. La figure de la reine devient familière aux habitués du quartier. Elle est d'ailleurs très fière d'annoncer le succès des artistes espagnols, comme Sorolla et Juan Gris.
J. Sorolla - Promenade au bord de la mer (détail) - 1909 - (Musée Sorolla Madrid).
Une reine philarmonique
Piano Pleyel de la reine Isabelle II.
En voiture, à pied, elle va et vient, infatigable et revient le soir vers les nombreuses salles de spectacles et d'art lyrique, dont le nouvel Opéra.
Isabelle II, qui a rencontré Sarah Bernhardt, Rossini peu avant la mort de celui-ci, qui a applaudi Hortense Schneider, La Patti à l'Opéra, aux Italiens (Romeo et Juliette, Lucie de Lammermoor) ou à la Gaité (La Poule aux œufs d'or), Caroline Otero qui joue aux Folies Bergère ou aux Italiens le rôle principal dans la Zarzuela La Verbena de la paloma... etc
Mezzo-soprano elle-même, protectrice de talents lyriques, elle ne manque aucune première d'opéra et, ainsi, n'a-t-elle pas hésité par exemple, en mars 1869, à solliciter le Vicomte d'Aguado, Alexandre Olympe, lui-même grand amateur d'opéra, comme son père.
Le 5 janvier 1875, lors de l'inauguration-gala inoubliable de l'Opéra Garnier, la reine Isabelle occupe, avec son fils, le futur Alphonse XII, la loge n° 20. Le moment est important : le jeune homme, qui vient d'être proclamé roi, attire tous les regards.
José Casado del Alisal - Portrait d'Alphonse XII (détail) - 1884 (Palacio real de Madrid).
C'est d'ailleurs ce soir-là que la reine Isabelle d’Espagne brisa la coutume selon laquelle seuls les hommes étaient autorisés à se rendre dans le foyer. « Elle décida de se rendre dans la galerie du Grand Foyer suivie de son entourage immédiat, puis des autres dames de la bonne société de l’époque qui ne souhaitaient pas demeurer en reste. Les messieurs, outrés, se réfugièrent sur les balcons extérieurs ! »
Sylvie Ancelot
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Cet article a été publié dans le Bulletin XVII- 2019 de l'association 9ème Histoire.
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