La Princesse Mathilde
© 9ème Histoire - 2022
Buste de la Princesse Mathilde par Carpeaux 1862 - © Musée d'Orsay.
La Princesse Mathilde (1820-1904)
une SALONNIÈRE au XIXe SIÈCLE
C’est devant un public limité par la jauge encore en vigueur que s’est tenue notre première conférence de l’année.
Françoise Robert débute son propos en montrant le buste de Mathilde Bonaparte, sculpté par Carpeaux et visible au musée d’Orsay, tout en citant le jugement toujours acéré des frères Goncourt pour la définir : « une princesse à la physionomie fuyante, une Lorette sur le retour … ». Son neveu, un certain « Gégé » Primoli, aura heureusement des paroles un peu plus aimables.
Fille de Catherine de Wurtemberg et de Jérôme Bonaparte, lui-même frère cadet de celui qui a été Napoléon Ier, Mathilde est née en mai 1820, en exil à Trieste où s’était réfugié son père, déchu du royaume de Westphalie à l’abdication en France de Napoléon Bonaparte. A la mort de sa femme en 1835, Jérôme en proie à des soucis financiers, envisage alors de marier sa fille âgée seulement de 15 ans avec son propre cousin, Louis-Napoléon Bonaparte, lui-même en exil en Angleterre. Mais les fiançailles seront annulées en raison du manque d’argent chronique et des activités complotistes de Louis-Napoléon.
Jérôme trouve alors un autre parti pour sa fille alors âgée de 20 ans, le comte Anatole Demidoff qu’elle épouse à Florence en 1840. Celui-ci, doté d’une immense fortune, conserve cependant sa relation avec sa maîtresse, ce contre quoi s’insurgera Mathilde. Elle aura une altercation avec sa rivale au cours d’un bal costumé en Italie et qui se soldera par une paire de gifles administrée en public par son époux, réputé pour ses manières violentes. Sans enfant, la princesse décide alors de s’enfuir pour Paris à la fin de la Monarchie de Juillet avec tous ses bijoux, comme le montre un tableau qui représente la plantureuse Mathilde avec colliers et diadème (sa dot rachetée par son mari à l’impécunieux Jérôme). Le jugement de divorce pour lequel elle doit obtenir l’aval du tsar Nicolas Ier intervenu en 1847, lui permettra d’ailleurs de les conserver et de disposer d’une rente généreuse.
E. Dbufe - Portrait de la Princesse Mathilde - 1861 - © Musée du Châteu de Vresailles.
L’arrivée au pouvoir, d’abord comme président de la République fin 1848, de Louis-Napoléon Bonaparte dont elle est la cousine germaine, est une chance pour elle. Choisie comme maîtresse de maison au palais de l’Elysée, elle devient alors une sorte de "Première Dame" jusqu'en 1853. Marcel Proust rapportera en effet un peu plus tard sa phrase : « Sans Napoléon Ier, je vendrais des oranges dans les rues d’Ajaccio ! ». On peut penser que Mathilde a pu avoir aussi quelques relations autres que de simple étiquette avec celui qui allait devenir en 1851 Napoléon III ... Elle se montrera d’ailleurs jalouse de la belle Eugénie de Montijo, devenue impératrice. Le frère de Mathilde, le prince Napoléon-Jérôme, surnommé « Plon-Plon » depuis sa petite enfance, sera lui un opposant résolu à Napoléon III, nous confie aussi Françoise Robert.
Si la Princesse Mathilde n’aime pas que l’on dénigre sa famille, elle s’est cependant bien adaptée au régime de la Monarchie de Juillet et, après 1870, à la IIIe République, en ayant même reçu Poincaré et en étant invitée aux grands évènements, notamment à la visite du Tsar Nicolas II à Paris.
Dès 1849, elle tient salon au 24, rue de Courcelles, dans un bel hôtel particulier (détruit aujourd’hui) dont un tableau de Giraud nous montre le décor très chargé avec en arrière-plan son jardin d’hiver et sa grande verrière. La princesse se plaindra cependant de la chaleur qui y règne l’été. Son amant est alors Nieuwerkerke, nommé « Intendant des Beaux-Arts de la Maison de l’Empereur ».
Charles Giraud - Véranda de la Princesse Mathilde rue de Courcelles - 1894 - © Musée des Arts Décoratifs Paris.
Par ailleurs, elle avait acheté en 1856 une propriété à Saint-Gratien (qu’elle louait déjà depuis 1851), située à quelques kilomètres au nord de Paris, près du lac d’Enghien, le château Catinat (qui héberge aujourd’hui des services municipaux), où elle aimait aller se reposer et également recevoir. Elle sera d’ailleurs bienfaitrice de cette commune en faisant construire son église. Elle se rend également souvent à la fin de l’été à Belgirate, sur les bords du lac Majeur, où elle possède une propriété (qui n’existe plus).
Détail du vitrail de l'église de St Gratien représentant la Princesse Mathilde (source Wikicommons)
Surnommée « Notre-Dame des Arts » par son ami Sainte-Beuve, elle reçoit rue de Courcelles presque tous les jours un grand nombre de personnalités aussi bien du monde politique que culturel, dont les frères Goncourt, Taine, Tourgueniev, Flaubert dont elle sera très proche et peut-être amoureuse, qui lui fait ses confidences en lui révélant ses soucis financiers. De même Théophile Gauthier, Guy de Maupassant, Alexandre Dumas, Prosper Mérimée, fréquentent la rue de Courcelles mais certains diront qu’elle n’avait pas en réalité une grande culture.
Ce salon sera pourtant très à la mode mais à la chute de Napoléon III en 1870, elle est alors obligée de quitter Paris pour se réfugier un temps en Belgique avant de revenir s’installer en 1871 dans un hôtel particulier 20, rue de Berri (disparu également).
C’est là qu’elle fréquente madame Straus (Geneviève Halèvy, veuve de Bizet) qui tient aussi salon et qui lui présente le jeune Marcel Proust qui évoquera son salon dans son œuvre. Celui-ci lui fera rencontrer Pierre Loti et Victorien Sardou (pourtant assez critique sur le Second Empire). Viennent aussi rue de Berri, Edmond Rostand et les Daudet (dont elle se montre en vérité jalouse de leur salon). Benjamin Constant ne sera pas d‘ailleurs très tendre envers celui de la princesse Mathilde en le jugeant « hideux car peuplé de peluches et meublé à la napoléonienne ! ».
Lucien Doucet - La Princesse Mathilde peignant - 1894 - © Musée du Château de Versailles.
Françoise Robert nous révèle enfin que sa dernière liaison a été celle entretenue en 1879 avec un artiste assez effacé, Claudius Poquelin et qu’elle fut peu sensible aux mouvements picturaux de l’époque et notamment à l’impressionnisme, en dépit d’un certain talent de peintre. Elle a éprouvé également une véritable détestation pour Zola et son œuvre naturaliste ; elle ne s’est d’ailleurs jamais prononcée sur l’affaire Dreyfus.
La princesse Mathilde décède en 1904, à l’âge de 84 ans, rue de Berri et sera inhumée dans l’église de Saint-Gratien où un vitrail la représente toujours.
Cette conférence, animée avec talent, se termine alors sans être suivie par notre traditionnel apéritif, toujours par respect de mesures sanitaires dont tout le monde espère rapidement la fin !
Une fellah - Tableau de la Princesse Mathilde - 1861 - © Musée des Beaux-Arts de Nantes.
Emmanuel FOUQUET
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