Laves Emaillées
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LE RETOUR DES LAVES EMAILLEES
DE ST-VINCENT-DE-PAUL
De 1846 à 1860, Pierre-Jules Jollivet (1803-1871), élève de Gros, décore la façade de Saint-Vincent de Paul de plaques de lave émaillée qui lui avaient été commandées à la demande d’Hittorff, l’architecte de l’église.
Ce dernier pensait ainsi illustrer dans son église ses propres théories sur l’architecture colorée chez les Anciens. L’invention de la peinture en émail revenait à Mortelèque et Hachette, et était favorisée par le préfet Chabrol, comte de Volvic, qui y voyait, entre autres, un moyen d’aider l’industrie de son Auvergne natale. Par ailleurs, cette technique répondait au souci d’une polychromie extérieure résistant aux atteintes du temps, équivalent moderne de la mosaïque.
Le premier tableau posé fut celui de la «Trinité», au-dessus de la porte, en 1846. Les autres plaques développent des sujets tirés de la Bible : à droite de la Trinité, c’est à dire à gauche du spectateur, les épisodes du Nouveau Testament, à droite ceux de l’Ancien. A la «Création d’Eve», correspond l’ «Adoration des Mages» ; au «Péché d’Adam», le «Baptême du Christ» ; au «Châtiment d’Adam et Eve», «La Cène». Ces six tableaux furent mis en place vers mars 1860 et firent immédiatement scandale.
« Un prêtre, raconte Jollivet, du haut de la chaire avait dénoncé aux fidèles l’immodestie des sujets représentés par l’artiste ; les mères devaient défendre à leurs filles de lever les regards sur la face de la maison su Seigneur polluée par les images de la création, de la faute et du châtiment de nos premiers parents et par celle du Christ qui, dépouillé d’une partie de ses vêtements, recevait le baptême dans les eaux du Jourdain »
Devant l’ampleur des protestations et la pression du clergé, la dépose des plaques fut décidée par Haussmann en 1861. Jollivet se sentit incompris. Il attribua, à juste raison, l’enlèvement de son décor à l’hypocrisie du clergé et au refus de toute nouveauté de la part du public.
Ce que l’on pourrait appeler l’affaire des laves de Saint-Vincent de Paul est un épisode particulièrement curieux de l’histoire de l’art français du XIXe siècle.
On est d’abord étonné de constater avec quelle facilité ont pu disparaître les traces de cette énorme entreprise. Sitôt après le scandale de l’enlèvement, la mémoire s’en est pratiquement effacée ; pendant plus d’un siècle, cet immense décor de façade allait rester dans les dépôts de la Ville de Paris sans que personne ne s’en soucie. Il faut attendre 138 ans pour les faire sortir de l’oubli. C’est en effet en 1998 que la Ville prit l’heureuse initiative d’en restaurer quelques-unes et de les exposer au Musée de la Vie Romantique.
Cet épisode montre aussi les limites de la solution trouvée par les juristes de la restauration, de la Monarchie de Juillet et de l’Empire pour déterminer les rapports entre les pouvoirs publics et l’Eglise. Le clergé se voyait mis en possession de bâtiments, de peintures et de sculptures qu’il n’avait ni commandés, ni même discutés dans leur conception et leur réalisation. Le clergé a rarement réagi pour les décors intérieurs. Il semble qu’il s’est montré plus sourcilleux quand aux images mises sur la voie publique et s’est battu contre les innovations qui ne correspondaient pas à leurs aspirations. Sa préférence devait aller vers l’imagerie sulpicienne qui était en train de naître. Or rien n’est moins sulpicien que les étincelantes peintures émaillées dont Jollivet voulait revêtir le façade de Saint-Vincent de Paul et qui, grâce à la détermination de la Ville de Paris, retrouvent, après 150 ans d’exil, leur place d’origine pour le plus grand plaisir de tous.
Bruno HORAIST
Prêtre, ancien Curé de St-Vincent-de-Paul, Curé de la Madeleine
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Dernière modification : 25/02/2014 • 18:24
Catégorie : - Architecture
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