Wagner rue d'Aumale
© D. Chagnas 2010 - © 9e Histoire 2010 -2014
WAGNER, RUE D'AUMALE
TANNHÄUSHER, RUE LE PELETIER
UN SEJOUR PARISIEN DE TROIS ANS (1859-1862)
En cette année du bicentenaire de Wagner, il convient de rappeler les relations mouvementées que le compositeur allemand entretint avec Paris, « capitale de la musique » que Wagner tenta de conquérir à plusieurs reprises.
Richard Wagner (1813-1883)
L’épisode de la création parisienne de Tannhäuser, le 18 mars 1861, à l’Opéra de la salle Le Peletier dans le 9e arrondissement, est bien connu de nos lecteurs. Wagner demeure à l’époque des répétitions 3 rue d’Aumale, ce qui a pour effet, entre autres, de le rapprocher de l’Opéra.
Wagner habitait précédemment un petit hôtel de la rue Newton qu’il fut contraint de quitter en octobre 1860, chassé par le bruit et la pioche des démolisseurs haussmanniens
Pour les 164 répétitions qui allaient avoir lieu, la rue d’Aumale semblait convenir parfaitement
Tout le monde s’accorde aujourd’hui à trouver cette rue belle, claire, calme et élégante et ses immeubles cossus plutôt bien fréquentés. Aussi sommes-nous surpris lorsque Wagner décrit son logement de la rue d’Aumale « misérable et lugubre »
Et encore ne parle-t-il pas du bruit, des essais tonitruants des ateliers Sax tout proches, rue Saint- Georges ; qui feront fuir de leur appartement Edmond et Jules Goncourt pour un petit hôtel particulier à Auteuil en 1868
En 1860, Wagner, lui, fait le chemin inverse. Il n’est sans doute pas facile de quitter le confort et le calme d’un hôtel particulier meublé des meubles de l’Asile[1] pour un appartement situé dans un immeuble où l’on peut croiser sans façons ses voisins dans l’escalier ou pire encore, les entendre jouer du piano ou d’un autre instrument.
Au cours de différentes visites de quartier, nous avons eu l’occasion de retracer la marche quasi quotidienne de Wagner pendant six mois (octobre 1860-mars 1861), depuis le 3 rue d’Aumale jusqu’à la salle des répétitions rue Le Peletier et d’évoquer la première houleuse de Tannhäuser, qui fut suivie de trois représentations seulement.
En 2009, le spectacle musical que nous avions organisé en collaboration avec la mairie et le conseil de quartier Lorette-Martyrs (trois représentations) fut également l’occasion d’évoquer Wagner dans notre arrondissement et d’entendre la Marche des Pèlerins de Tanhäuser interprétée à quatre mains par Marie Ange Leurent et Éric Lebrun à l’orgue de Notre-Dame-de-Lorette, église que Wagner a dû contourner bien souvent sur son chemin .
Cet article s’attachera et se limitera à couvrir la période des trois années (septembre 1859 -janvier 1862) au cours de laquelle Wagner séjourna à Paris pour faire accepter sa musique et plus particulièrement son Tannhäuser.
Au cours de cette période le compositeur habita successivement
- 16 rue Newton: octobre 1859 - octobre 1860
- 3 rue d’Aumale : octobre 1860- juillet 1861
Après l’échec de Tannhäuser, Wagner est l'hôte de l'ambassadeur de Prusse, 78 rue de Lille (juillet 1861). Puis, on le retrouve à l’hôtel du quai Voltaire de décembre 1861 au 1er février 1862, avant son départ « définitif » de Paris. Il reviendra néanmoins pour l’exposition universelle de 1867
Rue Newton, un joli petit hôtel (1859 -60).
Venant de Suisse, Richard Wagner s'installe à Paris le 20 octobre 1859, rue Newton. Il est accompagné de sa femme Minna Planer (1809-1866), actrice et cantatrice, qu’il a épousée en 1836.
Selon l’expression de Minna, leur union est "une guerre de Trente ans". Après s’être séparés en 1858, ils se retrouvent à Paris. Wagner sort d’une longue liaison platonique avec Mathilde Wesendonck, la femme de son mécène Otto Wesendonck et l’inspiratrice de l’opéra Tristan et Isolde
Minna Wagner,Wilhelmine Planer (1809-1866)
Wagner habitait rue Newton, n°16 (près de la Barrière de l’Étoile), un petit hôtel (démoli depuis) qu’il avait en grande partie meublé avec ses propres meubles transportés de Zurich ( ) Ce fut de là qu’il partit, en 1859, pour se rendre en France. ( ) Dans cette demeure tranquille, il vivait très modestement. Voisin du Bois de Boulogne, il ne sortait guère que pour y aller faire une promenade quotidienne, accompagné d’un petit chien très vif, qu’il aimait à voir sautiller autour de lui. Le reste du jour se passait à collaborer d’arrachepied avec Edmond Roche à la traduction française de Tannhäuser. Dans les intervalles, il se consacrait à la tétralogie, mettant la dernière main à l’orchestration Edmond Michotte : La visite de Wagner à Rossini, 1906
Au bout de quelques mois, Wagner s'installa rue Newton, près de l'Arc-de-Triomphe, dans un fort joli petit hôtel que les démolitions ont emporté depuis, il y était seul avec sa femme, à l'abri des voisins et des pianos. Sa vie s'y écoulait incertaine assurément, mais facile. Tous les mercredis, il réunissait quelques amis Le Ménestrel, Journal de musique Paris.
Quand Wagner loua la maison de la rue Newton, on lui demanda payer à l’avance trois années de loyer, le propriétaire s’étant bien gardé de lui dire que les plans du préfet Haussmann prévoyaient une mise à niveau de la chaussée et la démolition de la maison. Wagner perdit le procès qu’il intenta pour récupérer les deux années qui restaient à courir et fut condamné à payer les frais.
3, rue d’Aumale, l’appartement est plutôt petit
Chassé de la rue Newton par les travaux du baron Haussmann,
Richard Wagner séjourne rue d’Aumale de 1860 à 1861
« Je me suis donc mis à la recherche d’un autre logement, et j’en trouvai un, misérable et lugubre, rue d’Aumale. Par un temps exécrable, il nous fallut déménager à la fin de l’automne. Fatigué par ces opérations et les répétitions, je fus finalement terrassé par une fièvre typhoïde ».
Wagner et sa femme, Minna, s’établissent au 2ème étage. Wagner travaille au remaniement de Tannhäuser dont la première parisienne a lieu à la salle Le Peletier le 13 mars 1861 (164 répétitions pour trois représentations).
30 septembre 1860 Wagner à Mathilde Wesendonck: "Et maintenant je vais bientôt déménager. À partir du 15 Octobre, je demeurerai 3, rue d’Aumale. L’appartement est plutôt petit, et j’espère que je n’aurai pas à y écrire des vers ou à composer : il ne peut convenir que comme bureau d’affaires. J’ai à moitié perdu mon procès ; on ne me paie pas un sou d’indemnité. Ah ! Quand serai-je arrivé jamais à quelque chose ! C’était une mauvaise affaire, tout à fait manquée : l’appartement, que j’avais choisi justement pour sa tranquillité, devenait, avec les démolitions du quartier, intenable à cause du bruit. On prétend que mon propriétaire ne savait rien de cela. Possible !..."
Mathilde Wesendonck (1828-1902)
Agnes Mathilde Wesendonck, (1828 -1902) est une amie de Richard Wagner (de 1852 à 1863) connue pour avoir été l'inspiratrice de son opéra Tristan und Isolde. Elle est également l'auteur des cinq poèmes mis en musique par Wagner, appelés pour cette raison Wesendonck Lieder.
Quand son amie Malwida von Meysenbug, (portrait ci-dessus) auteur des « Mémoire d’une idéaliste » va rendre visite à Wagner dans sa nouvelle habitation rue d’Aumale, elle le trouve au 2e étage d’un immeuble habité par plusieurs locataires « Cela me fendait le cœur de le voir ainsi. J’imaginais tout ce que cela pouvait représenter pour Wagner d’habiter un affreux immeuble de rapport »
Aux portes de l’Opéra
Vers la fin de l'année 1859, fatigué des démarches sans suite et des promesses non tenues, désespérant de voir un jour représenter son Tannhäuser, Wagner décide d’affronter le public parisien en donnant trois concerts. Le premier a lieu le mercredi 25 janvier 1860, au Théâtre Impérial Italien (salle Ventadour).
Au cours des ces concerts, sont joués des extraits du Hollandais, de Tannhäuser, de Tristan et de Lohengrin.
Intérieur de la salle Ventadour (le Théâtre-Italien de 1841 à 1878)
25 Janvier 1860 : une nouvelle bataille d’Hernani ?
Pour la musique cette fois. Toute l’élite artistique et politique de la capitale se presse salle Ventadour. On reconnaît Théophile Gautier, Hector Berlioz. Au programme, des extraits des œuvres de Wagner les plus représentatives dont son opéra Tannhäuser, histoire d’un pèlerin déchiré entre amour profane et amour divin.
Baudelaire pour son compte rendu cite Berlioz (9 février 1860) « Le foyer du Théâtre-Italien était curieux à observer le soir du premier concert. C’était des fureurs, des cris, des discussions qui semblaient toujours sur le point de dégénérer en voie de fait »
Et Le Ménestrel de rapporter
« Ceux qui n'ont pas vu la salle des Italiens ce soir-là n'ont rien vu. Je ne connais que la tour de Babel ou les séances de la Convention nationale qui puissent leur donner une faible idée de l'agitation fébrile qui régnait dans l'auditoire »
L'émeute était à son comble. C'était un tohu-bohu à nul autre pareil. Ah ! s'écriait un fanatique, c'est du Meyerbeer sublimé! - Pardon, répondait un Girondin, c'est du Weber travesti! - C'est le ciel sonore ! - Par trop sonore, s'écriaient cent autres ! - C'est le carnaval musical ! - C'est le nec plus ultra de l'instrumentation! - C'est le chaos !
La soirée se termine par une tempête d'applaudissements. Pourtant le lendemain, la presse, caustique, ironise
Bouleversé par la grandeur de cette nouvelle musique, Charles Baudelaire écrit à Wagner son admiration :
Charles Baudelaire
« Par vous j'ai été vaincu tout de suite. Ce que j'ai éprouvé est indescriptible, et si vous daignez ne pas rire, j'essaierai de vous le traduire. D'abord il m'a semblé que je connaissais cette musique, et plus tard en y réfléchissant, j'ai compris d'où venait ce mirage; il me semblait que cette musique était la mienne, et je la reconnaissais comme tout homme reconnaît les choses qu'il est destiné à aimer. Pour tout autre que pour un homme d'esprit, cette phrase serait immensément ridicule, surtout écrite par quelqu'un qui, comme moi, ne sait pas la musique, et dont toute l'éducation se borne à avoir entendu (avec grand plaisir, il est vrai) quelques beaux morceaux de Weber et de Beethoven ».
Wagner a réussi à passionner Paris, à déchaîner la presse. Au même moment, la nouvelle lui parvient qu’à la demande pressantes de la princesse Metternich, l'empereur a donné l’ordre de mettre à l'étude au plus tôt, la représentation de Tannhäuser à l'Opéra. Enfin ! Il n’osait plus y croire !
«J’appris, à ma plus grande surprise, que ma situation avait été, à la cour des Tuileries, l’objet de conversations et de recommandations chaleureuses. Cet intérêt extrêmement sympathique et dont je n’avais presque absolument rien su, était dû à l’initiative si favorable pour moi de plusieurs membres de l’ambassade allemande à Paris. Celle-ci alla si loin que l’empereur, à qui une princesse allemande qu’il honorait particulièrement, ayant donné les renseignements les plus engageants sur mon Tannhäuser notamment, donna l’ordre immédiat de faire représenter cet opéra à l’Académie impériale de musique » Richard Wagner (Deutsche Allgemeine Zeitung, 7 avril 1861)
Tannhäuser à Paris
La Direction de l'Opéra de Paris recommande à Wagner de placer le ballet de préférence au deuxième acte pour que les abonnés qui arrivent après avoir dîné, puissent voir leurs protégées danser. Wagner ne change rien, ce qui déclencha une violente opposition des habitués du Jockey Club
L’opéra le Peletier en 1858
« Or, à la vérité, il apparut tout de suite, dans mon premier entretien avec le directeur du Grand Opéra, que la condition essentielle pour le succès de la représentation du Tannhäuser, était l’introduction d’un ballet, et cela au second acte. Je me rendis compte de l’importance de cette exigence, lorsque j’expliquai qu’il m’était impossible d’interrompre le cours de ce second acte précisément par un ballet qui d’aucune façon n’avait de signification ici ; mais par contre, au premier acte, à la cour voluptueuse de Vénus ( ) Mais le directeur repoussa énergiquement ce plan, et il s’ouvrit à moi,( ) il fallait surtout que ce ballet fût dansé au milieu de la soirée, parce que c’est seulement à ce moment qu’arrivent dans leurs loges les abonnés, ( ) car ils ont l’habitude de dîner très tard ; un ballet exécuté au début ne pouvait donc leur donner satisfaction, puisqu’ils n’assistent jamais au premier acte ». Richard Wagner (Deutsche Allgemeine Zeitung, 7 avril 1861)
13 mars 1861 : Première de Tannhäuser à l’Opéra Paris
Les membres du Jockey club mènent la danse et le chahut. Des domestiques munis de sifflets de chasse et de petits chiens ont été installés aux places les moins chères, des siffleurs ont été racolés.
Henri Rochefort ironise : "Comment as-t-on osé mettre une meute de chiens dans un grand opéra ? Pourquoi non ? On savait bien qu’à la troisième représentation, il n’y aurait plus un chat dans la salle "
Il n'y eut que trois représentations. Néanmoins cet échec assure à Wagner une renommée mondiale. Et la version de Paris de 1861 sera encore jouée de nombreuses fois ;
« Or, pendant les scandales soulevés par l’ouvrage de Wagner, je me disais : « Qu’est-ce que l’Europe va penser de nous, et en Allemagne que dira-t-on de Paris ? Voilà une poignée de tapageurs qui nous déshonorent collectivement ! » Baudelaire
Pauline Metternich
En 1859, alors que Wagner songe sérieusement à s’installer dans la capitale, Richard Metternich (1825-1894) est nommé ambassadeur d’Autriche à Paris. En peu de temps, le salon de sa jeune femme Pauline (elle est sa cousine a dix ans de moins que lui et parle le français aussi bien que sa langue maternelle) devient réputé. Ses jeudis sont aussi courus que les lundis de l’impératrice et bientôt le style « flamboyant » des Metternich sera imité dans toutes les cours d’Europe.
Princesse engagée
Femme d’ambassadeur et issue de la grande noblesse, Pauline Metternich entretient des relations amicales, voire de confidences, avec l'empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. Pianiste de haut niveau, la princesse, s’intéresse à tous les arts. Elle est l’amie des écrivains (Prosper Mérimée et Alexandre Dumas père) et des musiciens au premier rang desquels Richard Wagner (et aussi Franz Liszt, Charles Gounod et Charles Saint Saens).
C'est suite à son intervention que Napoléon III qui n’est pas insensible à son charme, ordonne la première de Tannhäuser en 1861 au Grand Opéra de Paris, malgré l'hostilité de la haute société parisienne et de la cour traditionnellement opposées à l’influence allemande en France.
La Princesse Pauline Metternich par E. Degas, d’après photo, et à la plage par Eugène Boudin
« Quelle admirable occasion ! Toute une salle française s’est amusée pendant plusieurs heures de la douleur de cette femme, et, chose moins connue, Mme Wagner elle-même a été insultée pendant une des représentations. Prodigieux triomphe ! » Baudelaire
« On murmure sous la loge de la princesse de Metternich : « Les Autrichiens cherchent évidemment la revanche de Solferino ( ) Mme de Metternich a groupé autour d’elle ses amis ou plutôt elle les a répandus dans la salle. Ce sont pour les femmes les comtesses de Pourtalès, Waleska, Lahon, les princesses de Sagan, Poniatowska, de Beauveau ( ). Parmi les hommes, on retrouve les Rothschild, les Aguado, les frères Lamberty, le marquis de Massa, d’Alton Schée , Galliffet et combien d’autres. Dominant de leur loge tous ceux -là l’Empereur et l’Impératrice sont présents, s’efforcent en conscience d’avoir une opinion, de paraître s’intéresser » Malwida de Meysenbug par un collectif d’auteurs
"Lorsque les Français joueront mes drames,
aucun peuple ne les jouera comme eux".
Après l’échec Tannhäuser, Wagner apparemment sans rancune (c’est du moins la posture qu’il adopte car par ailleurs il sait être virulent et régler ses comptes avec la France) écrit de Vienne, le 7 octobre 1861, à son ami Charles Nuitter : C'est singulier, mais je vous avoue, que j'ai un sentiment de mal de patrie pour Paris: malgré tous les désastres auxquels j'ai été exposé, j'ai trouvé là en bien de personnes un intérêt si ardent, j'ai éveillé en eux des espérances si hardies, que je me sens presque obligé par mon cœur, de ne pas abandonner la tâche commencée c’est à dire de faite connaître très intimement aux parisiens ce que je veux et ce que je peux ...
"On me suppose des rancunes parce qu’on m’a sifflé Tannhäuser ? Est-on bien sûr, d’abord, de l’avoir entendu tel qu’il est"?
"Les Français, ce n’est rien auprès de ce que m’ont infligé mes compatriotes en Allemagne, des cuistres qui se prennent au sérieux parce qu’ils ont le grade de docteur »
Laissons à Wagner le soin de conclure, quinze ans après l’outrage de la salle Le Peletier :
"Aujourd’hui encore, c’est de Paris que me viennent les appréciations les plus flatteuses et j’ai, qui plus est, l’assurance que, lorsque les Français joueront mes drames, aucun peuple ne les jouera comme eux."
[1] l’Asile : chalet situé à côté de la Villa Wesendonck à Zurich, mis à la disposition de Wagner par Otto et Mathilde Wesendonck , où il conçut la Tétralogie.
Didier CHAGNAS
© D. Chagnas 2010 - © 9e Histoire 2010 -2014
Catégorie : - Musiciens
Page lue 7698 fois