L'Hôtel de Melle Mars
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MADEMOISELLE MARS EN SON HÔTEL
En 2006 était signalée la vente de meubles provenant de la chambre de Mademoiselle Mars (1778-1847), la célèbre actrice de la Comédie Française (1). Le lot comprenait une paire de chaises et une paire de fauteuils à dossier cintré, ornés de palmettes, avec des accoudoirs à col de cygne pour les fauteuils, une commode avec des vantaux décorés de médaillons en porcelaine ouvrant sur trois tiroirs à l’anglaise, avec des pieds antérieurs à griffes de lion et un dessus en marbre Portor (2), un meuble de toilette à trois tiroirs, appelé barbière, muni d’un miroir amovible dans sa partie supérieure, avec des montants en gaine à tête d’Egyptienne et deux plateaux en marbre Portor, le tout reposant sur des pieds à griffes de lion, enfin un lit à l’antique à chevets inégaux et rehaussé sur une estrade, orné de médaillons rectangulaires en porcelaine représentant des Muses.
Tout ce mobilier, d’époque Restauration, en acajou et placage d’acajou mouluré et décoré de bronzes ciselés et dorés, a été réalisé entre 1824 et 1826 pour l’hôtel du 1, rue de la Tour-des-Dames, par l’ébéniste Joseph Marie Bénard, qui s’était spécialisé dans les meubles en bois indigènes (3).
Une autre pièce provenant de la chambre de Mademoiselle Mars est passée en vente à Fontainebleau en novembre 2013. Il s’agit d’une psyché, dite aux Renommées du roi de Rome, exécutée à la même époque par Bénard, probablement sur un dessin de l’architecte-décorateur Edmond Duponchel et, pour les Renommées, sur un modèle de Lucien-François Feuchère. Les essences utilisées sont la loupe d’orme et l’amarante; les montants portent, à mi-hauteur, des bras de lumière en cuivre doré (4).
La maison de la Nouvelle Athènes avait été construite au tout début des années 1820 par Auguste Constantin pour le maréchal de Gouvion-Saint-Cyr. Mademoiselle Mars l’avait achetée en 1824 et l’avait fait somptueusement réaménager par Louis Visconti. On pouvait y voir, entre autres, un escalier à la rampe remarquable, ainsi qu’une salle de billard ornée d’une frise dorique aux métopes sculptées de sujets variés et de colonnes en marbre (5). La chambre était au premier étage et donnait sur une terrasse couverte, du côté du jardin.
L'hôtel de Mademoiselle Mars était célèbre pour son luxe et sa décoration, à telle enseigne que des étrangers sollicitaient parfois un billet d’entrée pour le visiter, tel le comte Rodolphe Apponyi, qui, le 6 décembre 1827, accompagné d’un ami, y est introduit par le portier de l’actrice.
Voici la description qu’il en donne dans son journal : «Nous traversons une cour très spacieuse, remplie de bosquets toujours verts, une jatte de forme antique en marbre blanc au milieu, avec des statues, des jets d’eau, etc. L’architecture de la maison est tout à fait dans le style des villas en Italie. Des deux côtés de cette charmante maison il y a des serres sur des terrasses ; elles sont en forme de tentes soutenues par des lances dorées entre lesquelles se trouvent les vitrages. Enfin, nous entrons dans le vestibule en stuc, orné de colonnes, de statues, de grands vases de fleurs, le pavé de marbre en différentes couleurs, etc. Dans le fond de ce beau vestibule-hall se trouve placé l’escalier ; les marches sont en marbre blanc et les barreaux entre les colonnes sont en bronze doré ; ils ont la forme de candélabres antiques. Arrivés au haut de l’escalier, nous avons cru être transportés dans l’ancienne Athènes ; nous étions dans un temple de marbre blanc ; entre les pilastres, qui soutiennent des frises ornées de bas-reliefs, sont de grandes glaces diaphanes, à travers lesquelles on aperçoit des enfilades de chambres, de serres, de galeries, des vases en bronze doré remplis de fleurs ; là sont des glaces réfléchissantes de même grandeur que les premières […] ».
FJ. Kinson: Mademoiselle Mars Baron Gérard: Portrait de Mademoiselle Mars en costume moscovite - 1814
La visite se poursuivra sous la conduite de l’actrice et de Charles de Mornay (6), « cet aimable chevalier, ce beau des salons de Paris ». Et Rodolphe sera muet d’admiration lorsque Mademoiselle Mars, appuyant sur un bouton dans l’un des salons, fera se lever une glace, révélant aux yeux enchantés de ses visiteurs « un tableau digne du palais d’Artémide ; des colonnes, des vases remplis de fleurs, des statues, et tout cela entouré d’un printemps perpétuel de serres » (7).
En juin 1838, le Journal des Dames et des Modes, Gazette des Salons, rapporte un fait divers sous le titre Tentative d’assassinat sur la personne de Melle Mars et vol de diamans [sic] ». En effet, un domestique de l’actrice, renvoyé pour cause de malhonnêteté quatre ans plus tôt, avait réussi à s’introduire dans l’hôtel, dans l’intention de cambrioler son ancienne maîtresse; on avait trouvé près de lui un couteau de cuisine. Mademoiselle Mars avait déjà été victime d’un vol en 1827, au cours duquel on lui avait dérobé tous ses diamants, et cette seconde intrusion chez elle allait la pousser à mettre en vente sa belle maison (8).
Après un passage de trois ans dans un superbe appartement au 10bis de la rue de Rivoli, qui, à l’époque, n’avait encore été percée qu’entre la rue de Rohan et la rue Saint-Florentin, elle déménagera à nouveau, en 1841, pour le 13, rue Lavoisier, après avoir fait ses adieux à la scène le 31 mars. C’est à cette adresse qu’on la trouve en 1843, dans l’Almanach royal, sous la rubrique Déclamation spéciale, en tant qu’Inspectrice des classes d’études dramatiques. Elle meurt le 20 mars1847, laissant tous ses biens à son fils, Louis-Alphonse Bronner, qui hérite entre autres des meubles, des objets d’art et de la collection de tableaux de sa mère (9).
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(1) Née Anne-Françoise Hippolyte Boutet, elle était fille de deux acteurs : sa mère, Jeanne Salvetat, avait pris pour nom de scène Madame Mars ; son père, Jacques Marie Boutet, sociétaire de la Comédie Française, se produisait sous le nom de Monvel.
(2) Marbre noir veiné de jaune éclatant, provenant de Saint-Maximin, dans le Var.
(3) Le lit, bien que ne portant pas l’estampille de Bénard, lui a tout de même été attribué car il semble bien compléter l’ensemble du mobilier.
(4) Cette psyché avait été acquise par la célèbre courtisane Valtesse de la Bigne (1848-1910), qui l’avait revendue en 1902. Les meubles de la chambre de Mlle Mars deviendront par la suite la propriété de l’actrice Mary Marquet ; le décorateur Stéphane Boudin les lui achètera en 1928 pour le compte du magnat de la presse américaine, William Randolph Hearst.
(5) Thiollet et Roux, Nouveau Recueil de Menuiserie, 1837.
(6) Après la trahison de Fortuné de Brack, qui, lassé d’une liaison de neuf ans, avait rompu avec une extrême goujaterie, l’actrice s’était laissé courtiser par le comte Charles de Mornay, de vingt-quatre ans plus jeune qu’elle, mais qui allait lui vouer une grande passion et resterait à ses côtés jusqu’au dernier jour.
(7) Vingt-cinq Ans à Paris (1826-1848). Journal du comte Rodolphe Apponyi, attaché de l’Ambassade d’Autriche à Paris.
(8) L’acquéreur est le comte Henri-Bernard de Sassenay, inventeur d’un fourneau pour recuire les métaux. Il revend l’hôtel deux ans plus tard au prince Napoléon-Alexandre de Wagram, fils du maréchal Berthier, et à son épouse, Zénaïde Clary, nièce de la célèbre Désirée, qui faillit devenir impératrice des Français, mais finit reine de Suède aux côtés de son mari Bernadotte. Le prince et la princesse de Wagram apporteront quelques modifications à l’ancien hôtel de Mlle Mars et feront graver leurs initiales : W et C à la verrière du vestibule.
(9) A vingt ans, Hippolyte (c’est le prénom dont elle usait) avait connu son premier amour en la personne de Nicolas Bronner, qui allait être le père de ses trois enfants, mais l’abandonnerait trois ans plus tard. Louis-Alphonse sera le seul de la fratrie à survivre à sa mère : un premier garçon était mort au seuil de l’adolescence, suivi, quelques années plus tard, par sa sœur Hippolyte, dite Lilitte, à peine âgée de vingt-et-un ans.
Aline BOUTILLON
Catégorie : - Un Lieu à Découvrir
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