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Le Théâtre aux Armées - novembre 2017

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Le Théâtre aux armées et la contribution de
la Comédie-Française pendant la guerre 14-18


 

À l’avant-veille de la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918, 9ème Histoire a jugé utile ce mercredi 9 novembre de s’associer au souvenir de ce que fut la Grande Guerre, sous un angle peu abordé. Nous avons donc sollicité Jacqueline Razgonnikoff, Bibliothécaire archiviste honoraire de la Comédie-Française, à l’origine d’un très important travail de recherche sur le Théâtre aux Armées à cette époque, pour une conférence sur ce thème qui a véritablement passionné l’assistance par l’abondance des documents et témoignages présentés !

Notre conférencière évoque d’abord les origines même du théâtre aux armées remontant au XVIIIe siècle avec l’initiative du fougueux Maréchal de Saxe (dont Georges Sand fut l’arrière-petite-fille !) qui demande en 1746 à Charles-Simon Favart, auteur de pièces de théâtre puis régisseur et enfin futur directeur de l’Opéra-comique, de diriger une troupe de comédiens ambulants pour le suivre sur les champs de bataille.


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Le Maréchal de Saxe par Quentin de la Tour ca 1748
 

Jacqueline Razgonnikoff  ne manque pas alors l’occasion de rappeler la mémoire d’une personne qui fut justement hébergée, à cette époque, dans l’hôtel D’Augny (actuelle mairie du 9e et lieu de cette conférence) : Mademoiselle Beauménard, dite Gogo,  qui débuta sa carrière de comédienne en participant à ces représentations, avant de devenir la maîtresse au début des années 1750 du fermier général d’Augny puis accessoirement soubrette dans Le Bourgeois Gentilhomme, mais dont les nombreuses autres liaisons allaient aussi défrayer la chronique de la bonne société du temps…    

Pendant la période napoléonienne, quelques spectacles de théâtre sont donnés, notamment pendant la campagne d’Italie, et plus tard à Erfurt en 1808, les comédiens français jouent devant « un parterre de rois ». Le Second Empire ne sera pas en revanche marquant pour ce type de théâtre aux armées, hormis quelques entreprises individuelles de militaires épris de déclamation lors de la guerre de Crimée ! Au début de la IIIe République, c’est dans des casernes de pompiers ou de gendarmes que se limitent les quelques spectacles du genre.



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Il faut attendre le début de la guerre de 14 et la prise de conscience de l’horreur que vont représenter ces batailles de tranchées avec quelques centaines de mètres-carrés pris ou perdus, pour que certains écrivains comme Edmond Rostand, Maurice Barrès, mais aussi le chansonnier Théodore Botrel ou le chanteur à succès Félix Mayol, aillent témoigner leur soutien sur le front. On assiste alors à des initiatives isolées de militaires, artistes pour l’occasion, qui proposent des spectacles pour distraire leurs semblables, car c’est l’attente avant la prochaine offensive qu’il faut d’abord tromper. 

Ces petites représentations ont lieu parfois aussi dans les hôpitaux, avec des extraits d’opérettes ou de revues un peu légères. Le jeune Maurice Escande, future grande figure de la Comédie-Française y participe… Max Maurey, par ailleurs directeur du Grand Guignol de la rue Chaptal, fera jouer certaines de ses pièces qui se caractérisent par leur brièveté et leur goût du macabre, ainsi « Asile de nuit » qui fut donné par des artistes souvent assez amateurs…   

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La première représentation un peu plus élaborée est proposée en décembre 1914 à Commercy sous l’égide du major Rehm dans le cadre du « Poilu’s Music-hall », avec des piécettes intitulées « Au clair de la dune » ou « Débochons nous » ! Des gazettes publiées sur le front, comme « l’Echo des gourbis » ou « Le Cri du boyau » s’en font l’écho … 

Mais il faut attendre 2015 et l’arrivée comme administrateur de la Comédie-Française, d’Émile Fabre pour voir se constituer un vrai projet de Théâtre aux Armées. Après un voyage en Suisse avec la pensionnaire de la Comédie-Française, Béatrix Dussane, issue du Conservatoire d'art dramatique, il obtient d’abord l’appui des généraux Joffre et Gallieni. Il constitue alors un comité pour collecter des fonds, avec à sa tête pas moins que le président de la République, Raymond Poincaré, mais également Aristide Briand, Gaston Menier, Henri de Rotschild, la comtesse de Noailles ou encore Max Maurey. Ce sont d’ailleurs Les Grands Magasins du Louvre, voisins du prestigieux établissement qui seront les premiers donateurs !


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Arrivée de Beatrix Dussane à Dieulouard en mai 1916
 

Mais notre conférencière nous fait remarquer que les tournées ensuite organisées ne seront jamais bénéficiaires et que les comédiens y participant seront simplement défrayés de leurs dépenses de déplacement. La circulation des différents artistes était d’ailleurs fortement réglementée : déplacements par le train et en groupe, avec des laissez-passer permettant de gagner ensuite en voitures escortées les lignes du front.


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Le petit théâtre ambulant.
  

Un artiste peintre, Georges Scott, soutenu par une riche américaine, avait même créé un petit théâtre ambulant, transportable dans trois camions, qui intégrait des loges d’actrices (!) et deux décors en toile peinte, l’un pour les scènes d’intérieur, l’autre pour les scènes d’extérieur …

Peu de pièces longues sont présentées, car nécessitant souvent de nombreux comédiens, et peu compatibles avec les contraintes de lieux non dévolus à ces spectacles ! Ce sont les pièces courtes qui recueillent tous les suffrages comme « La Paix chez soi » de Courteline réunissant seulement deux acteurs, mais qui était surtout empreinte d’une misogynie capable de séduire ce public un peu particulier ! Béatrix Dussane la jouera de nombreuses fois, ou Elizabeth Nizan, toute jeune pensionnaire de la Comédie-Française mais aussi Maxa, la « Sarah Bernhardt de l’impasse Chaptal » comme elle avait été surnommée en tant que reine du répertoire de l’épouvante !

Le théâtre n’était pas uniquement à l’honneur lors de ces spectacles qui pouvaient rassembler des centaines de spectateurs comme le montrent certaines photos présentées par Jacqueline Razgonnikoff, on pouvait entendre également des grands airs d’opéra, entrecoupés parfois par le bruit du canon, la plupart d’auteurs français : Gounod, Massenet, Bizet, Delibes. À noter que Cavalleria Rusticana de Mascagni, opéra italien assez court, fut donné plusieurs fois lors de ces représentations. 


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Patriotisme oblige, chaque représentation commençait par un poème en l’honneur des soldats, lu sur scène par une comédienne et se terminait par la Marseillaise. Béatrix Dussane y a d’ailleurs popularisé aussi à ces diverses occasions La Madelon.


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Beatrix Dussane et un groupe de soldats interprétant La Madelon.
 

La première représentation de Théâtre aux Armées, tel que l’a voulu Émile Fabre, a donc lieu au Crocq, petit village au Nord de Beauvais, le 9 février 1916. L’affiche faite pour l’occasion indique que cette représentation est « offerte aux troupes coloniales par la Comédie-Française ». En attendant de recruter un peu plus tard des comédiens d’autres horizons, voire même des danseurs et danseuses de l’Opéra, l’administrateur a dû en effet faire appel en priorité aux artistes de la célèbre troupe et c’est tôt ce matin là que tous prennent le train gare du Nord pour Beauvais où Scott les attend avec des automobiles pour les conduire sur place !   Béatrix Dussane qui avait la plume facile en fait une relation assez détaillée et émouvante, comme dans l’extrait que nous lit notre conférencière.


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Les comédiens français accueillis par l'excadrille MF 40
 

Au cours des 1.200 représentations, avec parfois trois spectacles par jour (!) donnés de l’Alsace à la Belgique, réunissant plus de 400 artistes (dont la moitié de femmes), entre février 1916 et septembre 1919, date de la dissolution de la troupe du Théâtre aux Armées, les soldats font souvent des cadeaux aux participants à ces tournées, ainsi les aviateurs d’une escadrille qui remettent en juillet 2016 un diplôme d’aviatrice à Béatrix Dussane et posent pour la photo, montrée également par Jacqueline Razgonnikoff !

Des grandes comédiennes telles Cécile Sorel ou Sarah Bernhardt participeront un temps à ces spectacles, cette dernière pourtant amputée d’une jambe, viendra sur le front en chaise à bras ! Elle jouera notamment dans « Les Cathédrales » d’Eugène Morand.


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Sarah Bernhardt dans sa chaise à porteurs
 

Pour conclure sa passionnante conférence, ponctuée de témoignages saisis sur le vif par Béatrix Dussane ou encore Elisabeth Nizan dans leurs journaux de tournée, qui montrent que ces artistes ont vécu une aventure exceptionnelle, certes souvent avec les moyens du bord, Jacqueline Razgonnikoff lit un extrait de Thomas l’imposteur (1923) que Jean Cocteau écrira en souvenir de son expérience comme ambulancier où il assiste alors à des représentations mettant en scène Béatrix Dussane

De nombreuses questions et échanges avec l’assistance présente, montrent enfin la parfaite connaissance par Jacqueline Razgonnikoff de cette période si particulière, illustrée par les expositions qu’elle a pu monter à Orléans et à la Comédie-Française, en exploitant les précieuses archives du théâtre de la place Colette.

Une bien belle et instructive soirée !       


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Emmanuel FOUQUET


Date de création : 11/11/2017 • 16:39
Catégorie : - Echos du Terrain
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