Geneviève Halévy
J. Delaunay - Portrait de Madame Geneviève Bizet - 1878 - © RMN Musée d'Orsay
GENEVIÈVE HALÉVY (1846-1926)
C’est une des femmes les plus « en vue » au tournant du XXe siècle, d’une famille célèbre, adulée par le « Tout Paris », salonnière et pleine d’esprit.
Marcel Proust fut un de ses grands admirateurs et son ami. Il lui écrira souvent des lettres douces-amères, par exemple ce texte qui date de 1892 :
C'est que j'ai d'abord cru que vous n'aimiez que les belles choses et que vous les compreniez très bien - et puis j'ai vu que vous vous en fichiez ; j'ai cru ensuite que vous aimiez les Personnes et je vois que vous vous en fichez.
Je crois que vous n'aimez qu'un certain genre de vie qui met moins en relief votre intelligence que votre esprit, moins votre esprit que votre tact, moins votre tact que vos toilettes. Une personne qui aime surtout ce genre de vie - et qui charme. Et c'est parce que vous charmez qu'il ne faut pas vous réjouir et croire que je vous aime moins. Pour vous prouver le contraire (parce que vous savez bien que ce qu'on fait prouve plus que ce qu'on dit, vous qui dites quelquefois et ne faites jamais) je vous enverrais de plus jolies fleurs et cela vous fâcherait, Madame, puisque vous ne daignez pas favoriser les sentiments avec lesquels j'ai la douloureuse extase d'être
De votre Indifférence Souveraine
Le plus respectueux serviteur.
Marcel Proust.
Fille du compositeur Fromental Halévy, elle épouse en 1869 Georges Bizet qui avait été un élève de son père : elle a 23 ans, lui 31. Le couple s’installe 22 rue de Douai, où vit toute la “tribu” Halévy. (suivre ce lien).
Elle y fait ses premiers pas de « Salonnière ». Très spirituelle, elle risque des réflexions audacieuses auxquelles Bizet soupire « Oh ? Bébé ? », mélange de discret reproche et de tendresse.
Georges Bizet. Émile Straus
Quand Bizet meurt en 1875, après le mauvais accueil réservé à “Carmen”, elle est représentée par Delaunay, assise et perdue dans ses voiles de veuve.
Elle est courtisée par tous, Degas, Gounod, Manet, Maupassant… Edmond de Goncourt la traite « d’allumeuse sans cœur ».
Elle épouse en secondes noces, après onze années de veuvage, Émile Straus avocat fortuné des Rothschild. Ils reçoivent d’abord au 104 rue de Miromesnil, puis au 134 Boulevard Haussmann, et c’est lui qui dira « Avez-vous entendu le dernier mot de Geneviève? ».
Car elle avait effectivement l’esprit acéré. Accorde-t-on la Légion d’honneur à une romancière : « Je trouve que la poitrine des femmes n’est pas faite pour l’honneur ! » ; elle ne recevait d’ailleurs pas de femme dans son salon.
Au Capitaine Dreyfus, quelle avait défendu, elle déclare : « j’ai beaucoup entendu parler de vous ! ».
À quelqu’un qui l’interroge « aimez-vous la musique ? », elle répond « on en faisait beaucoup dans ma première famille » !
Elle eut une enfance perturbée : disparition de son père quand elle avait treize ans, suicide de sa sœur quand elle avait quinze ans ; sa mère était une malade nerveuse chronique soignée par le Docteur Blanche.
Férue de théâtre, elle est très cultivée et on rencontre dans son salon Jules Renard, Tristan Bernard ou le librettiste Henri Meilhac par exemple.
Sa fin de vie est triste : dépressive, insomniaque, elle se drogue (opium, morphine…). En mai 1905, Proust écrit qu’après deux ans de maladie nerveuse, elle se repose en Suisse.
Elle meurt en 1926 et son mari, Émile Straus, disparaît un an plus tard. Son fils, Jacques Bizet, né de son mariage avec Georges Bizet, déséquilibré et alcoolique, s’était suicidé en 1922.
J. Delaunay - Portrait de Jacques Bizet enfant
© Musée de Nantes
Françoise ROBERT
Sources :
Ch. Bischoff « Trilogie d’une égérie » - Balland éditeur,
A.M. Fugier « Les salons de la IIIe République » - Tempus éditeur.
Catégorie : - Personnages
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