Métiers de la Musique - octobre 2019
Page de garde de la brochure de présentation de la société SOFRESON située rue Pigalle. © Sofreson.
Les lieux des métiers de la musique dans le 9e
par Élizabeth Giuliani
C’est un sujet bien vaste qu’allait traiter Élizabeth Giuliani lors de sa nouvelle conférence tenue mardi 8 octobre à la mairie du 9e, tant le monde de la musique est présent physiquement dans notre arrondissement, y compris avant même la création de celui-ci !
Pour tenter de dresser l’inventaire des différents lieux ayant trait à la musique, l’ancienne directrice du département musique de la BNF s’efforce alors de classifier ceux-ci sous quatre angles principaux : les espaces artistiques, les supports techniques, les soutiens administratifs et associatifs.
Lorsque qu’on évoque les sites qui ont hébergé la musique dans notre arrondissement, difficile donc de ne pas évoquer de prime abord les lieux d’enseignement.
Le Conservatoire de Musique et de Déclamation - angle de la rue Bergère et de la rue du faubourg Poissonnière. © IABI
Le Conservatoire de musique, devenu aujourd’hui le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, localisé depuis 1990 sur l’espace de la Cité de la musique à La Villette, a été en effet d’abord créé en 1784 sur le site des Menus-Plaisirs du roi, rue Bergère. Cette vénérable institution qui abritait initialement aussi l’art dramatique d’où sa première appellation d’École royale de chant et de déclamation, a subsisté à cet endroit jusqu’en 1911, pour gagner alors la rue de Madrid dans le quartier de l’Europe.
Élizabeth Giuliani évoque ensuite le Gymnase musical, présent rue Blanche de 1836 à 1856 et dont la vocation a été d’abord d’enseigner aux militaires la musique jouée sur instruments à vent. Ces classes de musique rejoindront sous le Second Empire Le Conservatoire national avant d’être totalement supprimées en 1870.
Il fallait aussi ne pas oublier bien sûr l’existence du Conservatoire municipal Lili et Nadia Boulanger (du nom des fameuses musiciennes de la rue Ballu, dont d’ailleurs Elizabeth Giuliani avait évoqué la carrière lors d’une précédente conférence à la mairie du 9e), établissement créé en 1972 et installé depuis 2000, 17, rue Rochechouart, après avoir d’abord logé dans les anciens studios Wacker (suivre ce lien) consacrés à la danse, 67 rue de Douai.
D’autres établissements d’enseignement se sont installés plus récemment comme l’École du spectacle musical (1989) au 34, rue des Martyrs, dévolue plutôt au genre de la variété sous l’angle aussi bien du chant que de la musique.
Notre conférencière insiste alors sur l’abondance de lieux de concerts présents dans l’arrondissement à commencer par la belle salle du Conservatoire construite par Delannoy sous Napoléon 1er entre 1806 et 1811. C’est là notamment que sera créée en 1828 par le compositeur et chef d’orchestre Habeneck, la Société des concerts du Conservatoire, célèbre pour avoir introduit en France l’œuvre de Beethoven.
Salle du Conservatoire - © D. Bureau.
C’est également au Conservatoire (suivre ce lien) qu’Hector Berlioz allait donner sa célèbre Symphonie fantastique en 1830 (comme ce fut rappelé dans ces mêmes lieux lors d‘une conférence spectacle organisée cette année pour 9ème Histoire au moment du 150e anniversaire de la mort de Berlioz - suivre ce lien). Aujourd’hui, si le lieu est maintenant consacré à l’enseignement de l’art dramatique, s’y déroule encore chaque année le concours de chant et piano Lili et Nadia Boulanger.
Comment ne pas mentionner les fameux Salons Pleyel de l’hôtel Cromot du Bourg (suivre ce lien) de la rue Cadet occupés d’abord par Ignace Pleyel puis par son fils Camille entre 1827 et 1838, manufacture de pianos et aussi lieu du premier concert public donné à Paris par Frédéric Chopin en 1832. À partir de 1839, Camille Pleyel allait donner une nouvelle envergure à sa société en installant rue Rochechouart (actuel centre Valeyre), sa manufacture et une grande salle pouvant accueillir 500 personnes, où Chopin donna son dernier concert parisien en février 1848.
Élizabeth Giuliani signale également la présence de la salle Herz, du nom d’un pianiste autrichien qui la construisit en 1838 au 48, rue de la Victoire, (salle de taille relativement modeste qui sera détruite dans les années 1870) et où Berlioz comme Offenbach eurent l’occasion de se produire. Une autre salle de concert est à noter, celle dénommée Sainte-Cécile (également disparue) qui hébergera à partir de 1850 au 49 bis, rue de la Chaussée d’Antin la Grande Société Philarmonique de Paris créée par Berlioz, (salle suffisamment grande pour accueillir 200 musiciens !) et où il y donnera en l’espace de deux ans douze concerts, mais cette société s’avérera vite un échec financier.
Notre conférencière évoque alors l’existence de la salle de l’Athénée installée dans les sous-sols (!) du 17 de la rue Scribe entre 1864 et 1869 où se déroulaient les concerts de Jules Pasdeloup qui prendra ensuite le nom d’Athénée Comique avant sa fermeture en 1884. Une salle presque voisine édifiée 7, rue Boudreau sera consacrée en 1896 au théâtre avec, dans les années 1930-40, la présence à sa tête de Louis Jouvet mais où se donneront aussi de temps à autre des concerts.
L’arrondissement est évidemment caractérisé par l’existence sur son territoire des salles successives ayant abrité l’Opéra. D’abord celle de l'Opéra Le Peletier d’une capacité de 1800 places, construite « provisoirement » en 1821 à la demande de Louis XVIII pour remplacer celle de la rue de Richelieu (lieu de l’assassinat du duc de Berry) et qui ne disparaîtra qu’en 1873 lors d’un grand incendie. À cet endroit furent créés de nombreux grands opéras de Rossini, Auber, Halevy, Berlioz ou encore Verdi et Wagner…
L'Opéra Le Peletier aux environs de 1822 par Courvoisier - © Artlyrique.fr
Notre conférencière ne pouvait passer enfin sous silence la création de l’Opéra conçu par Charles Garnier et inauguré en 1875 mais son évocation mériterait une conférence à elle seule …
Le 9e se caractérise aussi par des nombreuses salles de music-hall.
L'Olympia Bruno Coquatrix - © EG La salle du Palace - © DC
Si l’Olympia du boulevard des Capucines, temple du music-hall parisien déjà bien connu, comme également le Casino de Paris de la rue de Clichy, n’ont pas été cités dans l’inventaire brossé par Élizabeth Giuliani, celle-ci rappelle que d’autres salles, emblématiques chacune dans leur genre, ont trouvé place dans l’arrondissement. Ainsi Les Folies Bergère (suivre ce lien), salle créée en 1869 au 32, rue Richer dont notre conférencière nous révèle qu’elle avait connu enfant son directeur Paul Derval ! Cette salle toujours en activité connaîtra, comme le Casino de Paris, un succès planétaire avec les nombreuses revues créées au cours du XXe siècle.
Le Palace du 8, rue du Faubourg Montmartre (suivre ce lien) est également une salle au riche passé dont Henri Varna fut aussi propriétaire, avant de connaitre une nouvelle vie dans les années quatre-vingt comme établissement « branché » des nuits parisiennes !
Une autre salle est enfin mentionnée, celle du Golf Drouot (dotée au départ d’un mini-golf) (suivre ce lien), 2 rue Drouot, consacrée au rock dans les années soixante, dont il ne subsiste plus qu’une plaque aujourd’hui et qui vit les débuts de Johnny Halliday et d’Eddy Mitchell !
Il était alors temps de passer aux instruments utilisés dans la musique et dont certains furent fabriqués dans notre arrondissement.
La manufacture des pianos Pleyel (suivre ce lien) présente une bonne partie du XIXe siècle rue Rochechouart avant d’aller s’installer à Saint-Ouen, a déjà été évoquée précédemment. Notre conférencière parle alors d’Adolphe Sax (suivre ce lien), d’origine belge, qui inventa et fabriqua le saxophone entre 1841 et 1877 au 50, rue Saint Georges et d’Alexandre Debain qui déposa le brevet de l’harmonium en 1842, 24 boulevard de Bonne Nouvelle, avant d’installer un grand magasin d’exposition face à l’angle des rues La Fayette et de Provence. Par ailleurs on peut rappeler qu’aujourd’hui la rue Victor Massé concentre toujours un grand nombre de magasins de vente de guitares électriques ou de percussion, perpétuant la tradition d’un arrondissement dédié à la musique.
La façade de la Manufacture Pleyel rue de Rochechouart - © Pleyel International.
Élizabeth Giuliani allait évoquer ensuite le nombre très important d’éditeurs de musique présents dans le 9e (30% de tout Paris !). On en a ainsi dénombré 107 entre 1877 et 1900 !
On peut citer Ignace Pleyel, encore lui, Édouard Eugène Moullé, rue Blanche, Louis François Duprat, rue Breda ou encore Castil Blaze qui édita l’œuvre de Beethoven en France. La maison Schott installée rue Auber édita elle l’œuvre de Wagner. On trouvait également comme distributeur l’Office municipal, rue de Châteaudun.
Dans le 9e, étaient aussi installés avant-guerre un certain nombre d’éditeurs de chansons comme Paris-Monde, boulevard Poissonnière, Auguste Bosc, rue Rochechouart, les éditions Fortin, Cité Chaptal, qui édita notamment Vincent Scotto.
Élizabeth Giuliani nous révèle ensuite que l’œuvre de Berlioz a été éditée par Richaud, rue de la Grange Batelière et que celle de Saint-Saens a été éditée boulevard des Capucines par Hartmann.
Les partitions de musique ont été aussi beaucoup publiées dans le 9e : notamment par Lemoine, rue Pigalle, Eschig, rue Lafitte, Choudens, boulevard des Capucines, Alphonse Leduc, rue Le Peletier (depuis 1841), puis rue de la Grange Batelière en 2019.
On trouvait également là de nombreux éditeurs de disques comme la Compagnie française de gramophones au 15, rue Bleue puis boulevard Haussmann, la Compagnie française du phonographe Edison établie au début du XXe siècle, 6, rue de la Grange Batelière ou encore la Société française Odéon établie faubourg Poissonnière.
Catalogue de la Compagnie française du Phonographe Edison - © flickr
Notre conférencière indique que cette implantation éditoriale a perduré avec la présence aujourd’hui de sociétés comme PIAS, rue Milton, Sony, rue de Châteaudun et Sony Music France, rue Saint Lazare et encore La Musica, rue Bergère. L’activité musicale se traduit aussi par l’existence de studios d’enregistrement : Sofreson, rue Pigalle, spécialisé dans la musique de film ou la restauration de bandes anciennes. Un studio de musique moderne est maintenant installé depuis 2014, rue Richer.
Nul besoin d’insister non plus sur la présence de disquaires réputés comme la Phonogalerie, rue Lallier qui héberge aussi le Phonomuséum (suivre ce lien), véritable institution du son enregistré ou Balades sonores, disquaire indépendant, avenue Trudaine, sans oublier la FNAC Saint-Lazare qui concentre une bonne partie des ventes de détail aujourd’hui …
Les implantations d'éditeurs et d'associations de musique dans le 9e - © E. Giuliani.
Légende: Les Étoiles représentent les Éditeurs de musique, les Cercles les Associations musicales. Couleur rouge: au moins 10 instances - Couleur verte: de 5 à 10 implantations.
Autre secteur important, la presse musicale largement présente dans l’arrondissement même si certains organes ont disparu tels la revue Paris-Artistes, rue Saint-Georges, d’autres ont déménagé plusieurs fois, ainsi Diapason pour le classique, Rock et Folk ou Opérette.
Pour finir son intervention, Élizabeth Giuliani évoque les institutions professionnelles fort nombreuses liées à la musique, comme pour les plus marquantes, la SACD, rue Ballu ou la SACEM, rue Chaptal désormais basée à Neuilly.
A l’aide d’une carte montrant les implantations des lieux de la musique dans Paris, notre conférencière nous fait alors constater en conclusion que la musique dite populaire a tendance à s’implanter plus largement dans l’est du 9e, alors que la musique classique se concentre plus dans le centre et l’ouest de l'arrondissement.
Cette soirée a ainsi permis, grâce à la grande documentation en la matière amassée par Élizabeth Giuliani, de mesurer la part importante de notre arrondissement dans le développement de la musique à Paris aussi bien au XIXe et XXe siècle qu’aujourd’hui encore.
Emmanuel FOUQUET
© 9ème Histoire - 2019
Catégorie : Publications de 9ème Histoire - Echos du Terrain
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