En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés. Mentions légales.
 
 
 
 

Bison Ravi

 © 9ème Histoire - 2020

 


À la recherche de Bison Ravi …
 


À l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Boris Vian, s’est tenue à la mairie du 9e, jeudi 15 octobre, une conférence assez insolite, d’abord par l’inscription préalable, le port du masque et la distanciation physique imposés aux auditeurs du fait de la pandémie, mais aussi par son sujet même traitant d’un artiste inclassable ayant utilisé souvent pour pseudonyme (ce ne sera pas le seul !) l’anagramme de son nom : Bison Ravi pour Boris Vian.
 


    anatomiedubison.jpg
      Anatomie du Bizon de Ch. Gonzalo & F. Roulmann - Editions des Cendres
 


François Roulmann et Christelle Gonzalo, libraires spécialisés dans le Marais et auteurs d’un ouvrage richement documenté, Anatomie du Bison aux Éditions des Cendres récompensé cette année par le jury de l’Académie du Jazz. ont pu démontrer brillamment lors de leur intervention à deux voix, à quel point nous avions affaire là à un véritable « cas d’école ».

Adoptant une présentation chronologique, nos intervenants commencent par nous dire que le jeune Boris, prénommé ainsi en raison de l’admiration de sa mère pour Boris Godounov (la musique déjà !), était issu d’une famille de la grande bourgeoisie, un de ses grands-pères ayant fait fortune dans le pétrole et l’autre dans la ferronnerie d’art avec pour résidence l’hôtel Salé (qui hébergea d’abord l’École Centrale au XIXe siècle puis deviendra le musée Picasso après son rachat par la Ville de Paris en 1964). C’est pourtant à Ville d’Avray, villa des Fauvettes, où son père, rentier, avait finalement installé cette famille de quatre enfants, que le fils cadet va faire ses premiers pas après sa naissance le 10 mars 1920. Cependant des revers de fortune au moment du krach de 1929 feront que toute la famille sera obligée d’aller habiter un temps dans la maison du gardien … La maison est alors louée aux Menuhin et Boris jouera ici avec le très jeune Yehudi !  
 

La scolarité du petit Boris se révèle assez chaotique en raison déjà d’une grande fragilité physique liée à un problème d’aorte, ce qui ne l’empêche pas de passer ses deux bacs au lycée Hoche de Versailles avant de rejoindre le lycée Condorcet, dans le 9e arrondissement, pour entrer en classe préparatoire.  C’est, dès 1937, que profitant de ses allers-retours gare Saint-Lazare, et jouant de la trompette depuis l’âge de 14 ans dans un petit groupe, l’Accord jazz, constitué avec ses frères, qu’il va adhérer au Hot club de France de la rue Chaptal.

Il est admis ensuite à l’École Centrale qui va déménager un temps à Angoulême au moment de la débâcle de 1939 ; peu passionné par ses études, il se consacre plutôt à l’écriture de poèmes mais il obtient néanmoins son diplôme en 1942. Entre-temps, sa famille s’était exilée à Cap Breton et c’est là qu’il rencontrera Michèle Léglise, sa future femme avec qui il se mariera à l’église Saint-Vincent de Paul en 1941. Le couple va alors habiter, pendant près de dix ans, aux confins du 9e, en face du lycée Lamartine, au 98, rue du Faubourg-Poissonnière, et c’est là que naîtra leur fils Patrick.
 

    Carte_Afnor.jpg
    Carte d'élève de Centrale de Boris Vian 1942_1943 - © Cohérie B. Vian                                                            Carte de fonction AFNOR de Boris Vian  1943  -  © Usine Nouvelle.
 


Boris Vian commence à travailler à l’Afnor en 1942, sans enthousiasme car c’est le jazz qui l’attire davantage. Il joue alors avec l’orchestre de Claude Abadie tout en rédigeant des chroniques pour Jazz Hot (François Roulmann nous montre sa carte de presse plaçant l’adresse de la rue du Faubourg-Poissonnière dans le 6e, erreur amusante qui montre que la scène du jazz se déplaçait déjà dans le quartier de Saint-Germain des Prés !). Il commence à écrire à la fin de la guerre, sur le revers des fiches techniques de l’AFNOR, son roman Vercoquin et le plancton, qui évoque notamment l’ambiance « zazou » des surprises parties de l’époque. Il fera de même pour son roman L’écume des jours en 1946, véritable ovni littéraire, avec lequel il postule au prestigieux prix de la Pléiade, soutenu par Jean Rostand qui le présente à Raymond Queneau mais une cabale montée par André Malraux et Jean Paulhan met fin à ses espoirs. L’ouvrage paraîtra cependant dans la célèbre collection blanche de Gallimard, avec ce bandeau un peu énigmatique « Ce ne sont pas les gens qui changent, ce sont les choses ». Ces romans sont pourtant deux gros échecs commerciaux.

 


Durant cette même période, il crée le scandale avec son roman noir, J’irai cracher sur vos tombes, où il laisse croire par le pseudonyme utilisé (Vernon Sullivan) qu’il n’en est que le traducteur, ce que dénonce la presse. Le canular se termine même en procès puisqu’il est accusé d’être un « assassin par procuration », il aura pourtant la chance d’être défendu par son grand protecteur Raymond Queneau, secrétaire général de Gallimard. Boris Vian tirera ensuite une pièce de ce roman qui fera tout autant scandale durant quelques mois en 1948, au théâtre Verlaine, 66, rue Rochechouart …

Pendant ce temps, après avoir quitté l’AFNOR pour un certain Office Professionnel des Industries du papier et du carton, le fantasque écrivain se livre aussi à l’exercice de la peinture et pour une exposition chez Gallimard, arrive à réaliser en une semaine une dizaine de portraits d’inspiration assez surréaliste. Il reprend la plume en 1947 pour publier aux Éditions du Scorpion, L’automne à Pékin, roman grinçant truffé de blagues et autres caricatures de personnalités, notamment des dirigeants de Gallimard dont il veut se venger. Le succès n’est toujours pas au rendez-vous et Boris Vian continue à tirer le diable par la queue avec la publication de plaquettes confidentielles et l’écriture de textes de chansons improbables telle Le code de la route en chansons !
 


Il était devenu durant toutes ces dernières années un habitué de Saint-Germain des Prés, du Café de Flore et des Deux Magots, avec pour amis notamment, Prévert, Mouloudji, Gréco, mais aussi Merleau Ponty, Sartre et de Beauvoir et encore Lionel Hampton, car il se réfugie dans le jazz plus que jamais en jouant dans les cabarets et en écrivant des chroniques pour des revues spécialisées et à la radio. Il éprouve en l’occurrence une grande admiration pour Duke Ellington rencontré à Paris lors d’un concert mémorable au Club Saint-Germain en 1948. Il sera aussi un des fondateurs et animateurs du Tabou.
En 1950, nouveaux échecs avec sa pièce L’équarisseur pour tous et son roman assez autobiographique L’herbe rouge, passé inaperçu chez un petit éditeur, Toutain.  L’Arrache Cœur, son dernier roman publié en 1953 n’aura pas plus de chance …


 


Son couple avec Michèle se délitant, c’est le divorce en 1951 après sa rencontre avec la danseuse Ursula Kubler.  C’est l’époque des vaches enragées où les deux amants vivent dans une chambre de bonne, boulevard de Clichy, et où l’artiste accepte, outre quelques piges dans la presse, des travaux alimentaires comme l’écriture de pochettes de disques ou la traduction des œuvres de Van Vogt et même pour Gallimard, des mémoires du général Bradley ! Boris Vian va soudain retrouver le succès en 1951 avec sa pièce Cinémassacre, composée de sketches désopilants, reprise aux Trois Baudets en 1953 ; il rejoint alors Raymond Queneau comme membre actif du célèbre Collège de Pataphysique côtoyant notamment Max Ernst, Eugène Ionesco, René Clair … Amoureux de vieilles voitures, il fait souvent des virées à Saint-Tropez, à faible vitesse, au volant de son antique et coûteuse Brasier 1911 (!).

 
 


C’est également à cette période que Boris Vian se met à écrire des chansons pour Juliette Gréco, Henri Salvador et Mouloudji, dont Le Déserteur qui par son antimilitarisme va lui valoir des ennuis dans les années 1955. Il en chantera lui-même beaucoup et rejoint enfin Philips pour s’occuper d’abord du catalogue de jazz puis en devient le directeur artistique. Après avoir épousé Ursula en 1954, ils viennent habiter Cité Véron avec pour voisin Jacques Prévert. De plus en plus fragile, il fait deux œdèmes pulmonaires en 1958, après avoir écrit un pamphlet ravageur sur l’univers du disque En avant la zizique, il se risque encore comme acteur au cinéma, dans des petits rôles, comme dans les Liaisons Dangereuses de Roger Vadim. Le 23 juin 1959, il meurt d’un arrêt cardiaque à seulement 39 ans au cours de la projection, au Marbeuf, de l’adaptation pour le cinéma de J’irai cracher sur vos tombes.

François Roulmann et Christelle Gonzalo allaient alors insister sur la redécouverte, après sa mort, du véritable créateur en tous genres qu’était Boris Vian chantre de l’absurde et de la provocation. Dans les années soixante, les lycéens vont redécouvrir ainsi L’Écume des jours, publié par J.J. Pauvert en 10/18 ou encore l’Arrache Cœur.

Des revues spécialisées comme la Revue Bizarre publie Les Vies parallèles de Boris Vian ou un peu plus tard la revue Oblique, une nouvelle biographie de Vian. En 1968, L’Écume des jours devient un film avec Jacques Perrin, Marie-France Pisier et Sami Frey, ressorti cette année en DVD par nos conférenciers. Les chansons de Boris Vian sortent à nouveau sous forme de coffrets dans les années 2000 avec différents interprètes. Suprême consécration en 2010 : le génial inventeur du « Pianoktail » entre dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, Christelle Gonzalo et François Roulmann ayant collaboré à la sélection des textes des deux volumes des œuvres romanesques complètes.   


Vraiment une conférence très documentée de la part de nos deux intervenants, montrant leur parfaite connaissance de l’œuvre tout à fait éclectique d’un artiste hors du commun, mais hélas non suivie par des échanges autour d’un verre, pour des raisons de crise sanitaire (peut-être un pied de nez involontaire du « Transcendant Satrape » du Collège de Pataphysique et membre de l'Ordre de la Grande Gidouille !) 
 


colloque-vian-uvic-victoria-lapprand-roulman-gonzalo-2.jpg
Colloque Boris Vian à l'Université de Victoria  (Canada)  -  Le Professeur Marc Lapprand, François Roulmann et Christelle Gonzalo  -  © Ch. Gonzalo.
   

                                                                                                                        

Emmanuel FOUQUET

           
                                                                   
           

© 9ème Histoire - 2020.
 


Date de création : 25/10/2020 • 09:16
Catégorie : - Echos du Terrain
Page lue 4027 fois