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Le jardin de Pauline Viardot


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Entrée du jardin Pauline Viardot - © AP
 


PAULINE GARCÍA-VIARDOT À L’HONNEUR DANS LE 9e
 


Enfin ! Alors que la datcha d’Ivan Sergueïevitch Tourgueniev est devenue un musée très signalisé à Bougival (1), que son buste en bronze orne le jardin de l’Hôtel d’Augny, aujourd’hui mairie du 9e arrondissement et qu’une plaque rue de Douai mentionne principalement son séjour, l’écrivain russe fait désormais moins d’ombre à son grand amour, son amie intime, Pauline Viardot, née García, qui le recueillit en 1847 puis l’hébergeât, et à laquelle il voua un culte pendant quarante ans.

De cette grande artiste, musicienne d’exception, pianiste, organiste, diva exceptionnelle, compositrice appréciée, véritable icône de son temps, la Ville a célébré le bicentenaire de la naissance le 18 juillet  1821 (2) en inaugurant un jardin à son nom. Celui-ci est installé devant l’hôtel de Serrigny (construit au XVIIIe siècle et où demeura le célèbre fondeur Thiébaut au XIXe). Cet hôtel abrite aujourd’hui la bibliothèque Louise Walser-Gaillard, au 26 rue Chaptal, un lieu proche de l’emplacement de l’hôtel particulier (disparu aujourd’hui, situé près du 50 bis rue de Douai), où Pauline demeurait avec son mari, journaliste républicain, historien et homme de théâtre, et leurs quatre enfants. Elle y tenait le jeudi soir (hors l’été) un salon musical réputé, rendez-vous du Tout-Paris culturel et musical de l’époque. Impossible de citer ici tous les grands noms qui ont fréquenté son salon tant ils furent nombreux.

A quelques pas, le Musée de la Vie Romantique de la rue Chaptal a également commémoré ce bicentenaire en organisant (jusqu’au 4 septembre 2022) un accrochage consacré à Pauline Viardot au sein de ses collections permanentes (chambre des portraits romantiques, au 1er étage). Une quinzaine d’œuvres choisies dans ses collections (peintures, partitions, photographies, documents, lettres) rendent hommage à cette artiste exceptionnelle. Le plus célèbre tableau reste son élégant portrait réalisé (et enjolivé amoureusement ?) par son ami Ary Scheffer quand elle avait 19 ans.
 


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Ary Scheffer - Portrait de Pauline Viardot - 1840 - © Musée de la Vie Romantique Paris.
 


Nous ne referons pas ici la biographie de Pauline García-Viardot (1821-1910). Trois articles sur ce site détaillent de façon très complète l’histoire de sa vie, sa famille, ses talents et ses œuvres. Mais il faut rappeler l’importance de son rôle et les qualités qui en ont fait une « égérie » incomparable, un pôle d’attraction de notre arrondissement où elle demeura et se produisit. Pianiste virtuose, Pauline enfant époustouflait son jeune maître Franz Liszt qui restera toujours un ami fidèle et regrettera qu’elle s’oriente en 1836 vers le chant.
Pauline attendra pour chanter la mort de sa sœur Maria (diva exceptionnelle connue sous le nom de son premier mari, Malibran, de treize ans son aînée), décédée à 28 ans d’un accident de cheval en Angleterre, enterrée en Belgique (suivre ce lien). Formée au chant, comme Maria, par son père puis sa mère, Pauline avait un talent exceptionnel. Outre qu’elle donnait à ses interprétations une intelligence et une expressivité très émouvantes, sa voix était hors du commun. Elle passait sans difficulté du registre de contralto à celui de soprano, une tessiture très longue qui étonna Berlioz : « elle réunit trois genres de voix qui ne se trouvent jamais ensemble (…) sa voix, d’une étendue exceptionnelle est au service de la plus savante vocalisation et d’un art de phraser le chant dont les exemples sont bien rares aujourd’hui ». Il écrira pour elle une version mezzo-soprano de l’opéra « Orphée et Eurydice » de C.W. Gluck (suivre ce lien).

Cette cantatrice, pianiste et organiste, devenue compositrice quand elle dût abandonner le chant en vieillissant, artiste hors pair, grande pédagogue, avait un relationnel remarquable. Toute sa vie elle put compter sur ses amis Ary Scheffer, Clara Wieck-Schumann, George Sand, Frédéric Chopin… Elle encouragea Charles Gounod, Georges Bizet, Camille Saint-Saëns et Gabriel Fauré. Pauline parlait six langues et elle a voyagé dans toute l’Europe. C’était une « encyclopédie vivante » très généreuse, qui offrit en 1892 au Conservatoire national de Musique et d’Art dramatique (situé dans le 9e, alors rue Bergère) la partition originale ruineuse du « Don Giovanni » de Mozart qu’elle avait acquise (en vendant ses diamants) à Londres en 1855 (pour 4 500 francs de l’époque). Elle l’exposait dans ses demeures successives comme une relique (les huit fascicules reliés dans un écrin de cuir grenat titré en lettres d’or, présentés dans un coffret en bois précieux incrusté orné du chiffre M), notamment dans son dernier salon du 243 boulevard Saint-Germain (suivre ce lien).
 


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Laurence Patrice et Delphine Bürkli dévoilant la plaque du jardin de Pauline Viardot - © AP
 

Ce 15 juillet, la maire du 9e arrondissement, Mme Delphine Bürkli, a donc dévoilé la plaque désignant désormais ce jardin très apprécié des habitants du quartier, où l’on échange des graines et des boutures, aux côtés de Mme Laurence Patrice (adjointe à la maire de Paris, en charge de la Mémoire et du Monde combattant) et de Mme Carine Rolland (adjointe à la maire de Paris, en charge de la Culture et de la Ville du Quart d’Heure), représentant Mme Hidalgo (retenue en Avignon). Parité oblige, les deux maires (qui ne s’entendent pas toujours…), souhaitent toutes deux féminiser le plus possible de lieux à Paris et rendre justice à des femmes remarquables trop longtemps sous-estimées voire ignorées.

Parmi les invités de marque, citons l’arrière-arrière-petite-fille de l’artiste, venue avec M. Jorge Chaminé, baryton réputé, président et directeur artistique du festival Cima (Toscane) et président fondateur du Centre européen de Musique (CEM) de Bougival. M. Chaminé a beaucoup œuvré pour la restauration de la belle villa palladienne des époux Viardot à Bougival, et il se bat aujourd’hui pour sauver la demeure toute proche de Georges Bizet. Le CEM, centre de formation et d’échanges interdisciplinaires, qui organise des concerts, des master classes, des conférences et des échanges, est situé sur la « colline des impressionnistes », au cœur du parc paysager reliant la villa des Viardot, la datcha d’Ivan Tourgueniev et la maison de Georges Bizet. S’étaient faits excuser lors de l’inauguration le consul d’Espagne à Paris et le maire de Baden-Baden (lieu de villégiature aristocratique où Pauline s’était exilée sous le Second Empire et avait créé une école de chant).
 


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Une descendante de Pauline Viardot, fière de son ancêtre et ravie de la voir ainsi reconnue et honorée.
 


Si les discours furent brillants et laudatifs, le meilleur des hommages fût musical : à la demande de M. Chaminé, un violoncelliste virtuose, Eric-Maria Couturier, a improvisé (comme Pauline conviait ses amis à le faire lors de ses réceptions du jeudi soir rue de Douai) sur la mélodie composée par la musicienne pour illustrer un poème de Joseph de Maistre consacré à la chanson populaire russe «Hai luli, hai luli ! »(3). M. Couturier a clos la cérémonie en interprétant deux pièces composées par deux amis de Pauline, Robert Schumann et Gabriel Fauré (4).
 


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Eric-Maria Couturier interprétant des pièces de Schumann et Fauré - © AP.
 

 
Comme Pauline, ce jardin est au sens propre « extraordinaire » :  il fait partie des neuf que la maire de Paris et ses équipes ont souhaité créer attenant à une bibliothèque, où les visiteurs peuvent trouver à la fois des ouvrages sur la permaculture et la biodiversité mais aussi une « grainothèque » (fleurs, fruits et légumes, de préférence des variétés anciennes et rustiques), où les jardiniers amateurs peuvent échanger leurs semences  (hors commerce), voire une « semiothèque » et une « bouturothèque ». Des formations y ont lieu régulièrement afin que les parisiens soient sensibilisés à l’art de végétaliser non seulement leurs appartements, balcons et cours mais aussi les rues et places de leur ville. Ces bibliothèques peuvent ainsi favoriser en partie le développement de l’agriculture urbaine. Tout cela prend sens dans le cadre du dernier Plan biodiversité de Paris (2018-2024) élaboré avec une charte, après des diagnostics très pointus. Il succède à ceux établis depuis 2011 avec « l’indice de Singapour » (des calculs très précis pour mesurer les progrès accomplis et signaler les progrès à faire) comme outil d’aide à la décision (consulter le site de la Ville).
 


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Par ailleurs cette bibliothèque hors du commun dispose d’un accueil et d’un étage consacrés à un « pôle sourd » et porte depuis septembre 2019 le nom de Louise Walser-Gaillard, « militante sourde et poétesse du silence », née en 1879, qui épousa en premières noces un sourd, Charles Dupont (qui lui donna trois enfants, avant de se suicider) puis le directeur de « La Revue des Sourds-Muets », Henri Gaillard, avec qui elle eut cinq autres enfants. Dans les banquets politiques, militante féministe et engagée, Louise déclamait ses poèmes en langue des signes, un moyen de communiquer qu’elle revendiquait alors que seule l’oralité était acceptée dans les écoles religieuses de son temps. Baptisée en 1912, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’abbé de L’Epée, « la Jeanne d’Arc des sourds-muets » par les associations de sourds américains qui soutenaient son combat, elle mourut très regrettée de sa communauté en 1920. A noter : la proximité de la bibliothèque avec l’I.V.T. (International Visual Theatre) de la Cité Chaptal, en fond d’impasse (ex-chapelle de couvent, ex-Théâtre du Grand Guignol), théâtre réouvert en 2006 avec comme directrice Emmanuelle Laborit (actrice, écrivaine et « chansigneuse »), devenu un « lieu emblématique de la culture sourde » à Paris (suivre ce lien).  
 


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Salle de lecture de la bibliothèque Louise Walser-Gaillard - © AP.
                                                          


L’hôtel particulier qui accueille bibliothèque et jardin au 26 rue Chaptal mérite une visite approfondie. Entre 1856 et 1861, il changea trois fois de propriétaire (M. Goupy, puis en 1857 l’agent de change Joseph-César Pollet, qui le revendit en 1861 à Georges-Léopold Haphène). C’est en 1880 que l’architecte Pierre-Joseph Olive lui donne son aspect actuel. Il deviendra en 1888 le siège d’une fonderie d’art renommée, celle des Frères Thiébaut. On leur doit notamment : la statue d’Etienne Marcel modélisée par le sculpteur Idra, signée Barbedienne, fondue à cire perdue en un seul jet, qui orne l’Hôtel de Ville ; l’Alexandre Dumas père de Gustave Doré, son vase des Vendanges ; la réduction de La Liberté de Bartholdi placée pont de Grenelle ; Le Dénicheur d’Oursons d’Emmanuel Frémiet au Jardin des Plantes ; La Liberté éclairant le Monde de Bartholdi au jardin du Luxembourg ; la statue équestre de Jeanne d’arc par Frémiet place des Pyramides ; etc. Un contrat les liera à Rodin pendant dix ans. A l’exposition de 1900, une statue équestre monumentale de Frémiet, Saint-Georges, fut très remarquée, notamment pour la qualité de sa patine d’or. Deux frères Thiébaut, Jules et Henri, décéderont à un an d’écart (en 1898 et 1899), obligeant Victor à restructurer l’entreprise et à s’associer à des collaborateurs. Victor décédera en 1908 mais l’hôtel de la rue Chaptal restera dans la famille jusqu’en 1920.

Réquisitionné en 1942, propriété de diverses sociétés d’assurances, il est acheté par le département de la Seine en 1943, pour y installer l’École nationale de la Protection Civile. En 2000 la Ville de Paris récupère le bâtiment pour y loger une bibliothèque et une crèche (inaugurées début 2008). En 2013 a été posée dans l’entrée une plaque commémorative du maître-sculpteur Hébert représentant Frédéric Curie, résistant, pionnier du sauvetage aérien et premier directeur de l’École, aux commandes de son hélicoptère. Le grand salon « à l’italienne », orné des peintures de Claude Bourgonnier représentant les quatre saisons, est la seule pièce qui a conservé ses décors anciens. La cheminée est inspirée des décors du château de Fontainebleau (galerie François Ier et ancienne chambre de la duchesse d’Etampes). Habitants d’exception, lieux d’exception… L’âme de Pauline, européenne engagée aujourd’hui consacrée et reconnue, règne désormais à Paris, au cœur de la Nouvelle Athènes, dans un jardin à son nom, rue Chaptal.
 


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Plaque dédiée à  Frédéric Curie - © Xreative-Commons Attribution-sahre alike 30 unported.
 

Anick PUYÔOU

Notes

(1) La datcha de Tourgueniev à Bougival (devenue un musée grâce à l’ ATVM, Association des Amis d’Ivan Tourgueniev, Pauline Viardot et Maria Malibran) a été construite en 1874 sur Les Frênes, le grand terrain de la villa de campagne des Viardot, villa restaurée récemment grâce au Loto du Patrimoine (créé par Stéphane Bern et le gouvernement), qui sera inaugurée en 2022 (si les variants du Covid19 le permettent). De 1847 à 1850, pourchassé par les autorités russes pour ses idées libérales, Tourgueniev vint se réfugier en France (dont il parlait remarquablement la langue), dans le château des Viardot à Courtavenel (Vaudoy-en-Brie, Seine-et-Marne). Il s’installera dans leur hôtel particulier (situé près du 50 bis rue de Douai) en 1857, jusqu’à la mort de Louis Viardot (1883). Pour Guy de Maupassant son amitié passionnée pour Pauline (dont on ne sait si elle fût platonique ou pas), exprimée dans une abondante correspondance, était « la plus belle histoire d’amour du XIXe siècle ».

(2) Pauline ne serait pas née dans le 9e : Jacques Hillairet, historien spécialisé dans les rues de Paris (5334 répertoriées dans son Dictionnaire en deux volumes), a publié en outre un ouvrage sur « La rue de Richelieu », où il parle du ménage García (lui « primo tenore » et elle « seconda donna » à l’Opéra Buffa, Théâtre italien, situé alors à l’emplacement de l’actuel square Louvois), couple qui fonda là une académie de chant. Pauline serait née rue de Richelieu le 18 juillet 1821 et elle a été baptisée le 29 août 1821 à l’église Saint-Roch.

(3) Ecrivain français savoyard (« savoisien ») devenu sujet du roi de Sardaigne puis soldat du tsar Alexandre Ier, Joseph de Maistre (1763 – 1852) est enterré à Saint-Pétersbourg. Il lança la mode du roman russe en France avec la nouvelle « Les prisonniers du Caucase » (1825), dans laquelle ce chant joue un rôle d’émulation à la résistance pour les otages de brigands « tchetchenges ».

(4) Gabriel Fauré (32 ans) était épris de Marianne Viardot (21 ans), une des filles de Pauline. La jeune fille ayant rompu son engagement peu avant le mariage, le musicien sombra dans une longue et profonde tristesse qui transparaît notamment dans sa célèbre « Elégie pour violoncelle et piano » composée en 1880.

© A. Puyöou - 2021 © 9e Histoire 2021


Date de création : 12/08/2021 • 16:54
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