En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés. Mentions légales.
 
 
 
 

Conférence sur Juliette DROUET

Juliette Drouet, Compagne du siècle et du 9e

Une image contenant art, peinture, dessin, croquis

Description générée automatiquement

Juliette Drouet

Devant une assemblée de près de 90 personnes réunies ce jeudi  25 mai, Alexandre Gady, président de 9ème Histoire, ouvre la séance en évoquant la disparition récente d’Aline Boutillon, membre du conseil d’administration de 9ème Histoire depuis presque l’origine de l’association et après quelques instants de recueillement demandés en sa mémoire, passe la parole à notre conférencière, Florence Naugrette, professeur à la Sorbonne et autrice de Juliette Drouet, Compagne du siècle paru chez Flammarion.

Celle-ci rappelle tout d’abord qu’en juin 2019 a été inaugurée par Delphine Bürkli, maire du 9e, la place Juliette Drouet située à l’intersection des rues de la Rochefoucauld et Pigalle en indiquant que Juliette Drouet avait emménagé en 1871 justement au 55 rue Pigalle où Victor Hugo l’avait rejointe à la fin de l’année 1873, après avoir quitté sa résidence du 66 rue de La Rochefoucauld.

Une image contenant bâtiment, plein air, façade, porte

Description générée automatiquement

66 rue Marguerite de la Rochefoucauld © Emmanuel Fouquet

Florence Naugrette rapporte que les deux amants ont vécu onze ans d’abord séparément bien que tout près l’un de l’autre, puis ensemble, dans ce qui allait devenir en 1860 le 9e arrondissement. Elle détaille alors leurs différentes adresses :

Le 15 octobre 1848, Victor Hugo vient habiter rue de la Tour d’Auvergne (au 41 de la rue d’aujourd’hui) dans la propriété de Fortunée Hamelin et installe un mois plus tard Juliette non loin, cité Rodier (devenue rue Rodier). C’est le Coup d Etat de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1851 qui les en chassera.

C’est aussi la chute de celui-ci, après la cuisante défaite de Sedan infligée par la Prusse, qui les fait revenir tous deux d’exil de Guernesey à Paris en 1870 et alors que Victor Hugo va habiter chez Paul Meurice au 5, avenue Frochot, Juliette loge d’abord à l’hôtel Navarin puis au pavillon de Rohan près de la Comédie-Française. S’ils passent tous deux la période terrible de la Commune en Belgique et au Luxembourg, ils reviennent à Paris en septembre 1871 pour aller provisoirement rue Laffitte à l’hôtel Byron puis dès octobre, l’écrivain emménage au 66, rue de la Rochefoucauld et installe Juliette en face au 55, rue Pigalle. Après de nouveaux séjours à Hauteville House à Guernesey, ils vont enfin avoir en 1874 une véritable résidence commune à Paris au 21, rue de Clichy (en face de l’actuel Casino de Paris qui n’existait pas encore à cette époque) où ils séjourneront quatre ans avant d’aller en 1878 avenue d’Eylau, qui allait devenir du vivant de l’écrivain l’avenue Victor Hugo dans l’actuel 16e arrondissement, où Juliette allait mourir en 1883, deux ans avant la mort de son illustre compagnon.

Une image contenant plein air, fenêtre, bâtiment, ciel

Description générée automatiquement

21 rue de Clichy © Emmanuel Fouquet

Ils auront donc vécu le 1/5e de leur vie commune dans le 9e arrondissement !

Puis Florence Naugrette brosse un rapide portrait de la « compagne du siècle » en rappelant d’abord ses origines bretonnes très modestes, orpheline dès l’âge de seize mois, montée à Paris d’abord comme prostituée avant de devenir comédienne, puis comme femme entretenue par un écrivain célèbre mais qui la protégera aussi. Certes elle est ainsi un exemple de situation d’emprise (ici de la part de Victor Hugo) mais également de dépendance assumée, ce qui à cette époque était souvent le cas des femmes à un moment où le divorce était interdit… Notre conférencière nous décrit le personnage de Juliette Drouet comme héroïne d’un couple illégitime représentante avant l’heure de l’amour libre ! L’histoire de cette relation est aussi d’après notre conférencière celle du XIXe siècle racontée par l’entremise de 22 000 lettres écrites à son amant entre la révolution de 1848 et la Commune en 1871 !

Elle a certainement sensibilisé ainsi le grand écrivain à plusieurs thématiques : l’éducation plutôt que le travail forcé des enfants, l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort, l’amnistie des prisonniers politiques, le droit au travail pour tous et enfin l’émancipation des femmes.

Une image contenant Visage humain, habits, portrait, personne

Description générée automatiquement

Victor Hugo en 1849

Florence Naugrette commence alors à égrener la vie de Juliette Drouet en s’arrêtant sur certaines dates.

Juliette naît le 10 avril 1806 à Fougères de parents très modestes qu’elle ne connaîtra jamais car décédés prématurément, elle est donc placée d’abord en nourrice avant qu’une tante s’intéresse à elle pour l’emmener dans la région de Brest puis à Paris en 1815 dans le quartier des Feuillantines où elle est élevée un temps au couvent.

Elle se livre ensuite sans doute parfois à la prostitution pour survivre avant de rencontrer, en 1826, le sculpteur James Pradier dont elle devient la maîtresse et avec qui elle aura une fille, Claire. Celui-ci lui suggère de devenir comédienne, ce qu’elle fait en jouant dans La femme de Smyrne au Théâtre du Parc à Bruxelles.

Florence Naugrette nous confie alors que le jeu du théâtre romantique de cette époque nécessitait une bonne forme physique dans des rôles assez démonstratifs !  C’était particulièrement le cas des mélodrames dans lesquels elle jouait.

A son retour à Paris sa beauté attire déjà un certain nombre d’hommes parfois célèbres comme Alexandre Dumas. Elle joue en 1833 au théâtre de la Porte Saint-Martin dans Marie Tudor (en adoptant alors comme nom de scène le nom de son oncle, Drouet), une des pièces de Victor Hugo qui avait commencé à s’enticher d’elle mais elle est sifflée lors de la première … Cette pièce allait d’ailleurs être victime d’une cabale dans la presse. Cela ne l’empêche pas de décrocher un contrat de pensionnaire à la Comédie-Française !  Elle avait aussi obtenu la même année un petit rôle dans Lucrèce Borgia, du même Hugo, en jouant la princesse Negroni dans l’ombre de Mademoiselle George, la grande vedette de l’époque.

Une image contenant Visage humain, habits, portrait, croquis

Description générée automatiquement

Juliette Drouet en 1832 (Maison de Victor Hugo)

Juliette ne va pas tarder cependant à abandonner le théâtre pour adopter le statut de femme entretenue. 1838 est une date charnière à cet égard : Victor Hugo et Alexandre Dumas créent en effet le théâtre de La Renaissance dont ils sont directeurs artistiques. Hugo écrit Ruy Blas et fait miroiter à Juliette la possibilité d’y avoir le premier rôle. Madame Hugo, qui avait appris entre temps la liaison de son mari, s’efforce alors de dissuader le directeur du théâtre de confier le rôle principal à sa rivale, ce qu’elle obtient en définitive au grand désespoir de la comédienne qui va décider alors d’arrêter sa carrière.

Pour se faire pardonner, Victor Hugo lui offre une sorte de voyage de noce fictif en 1839 en concluant une sorte de mariage symbolique au cours duquel Hugo s’engage à entretenir Juliette ainsi que sa fille Claire, alors pensionnaire à Saint-Mandé. Il devient ainsi pour elle père adoptif de Claire, la fille de Juliette. Au cours d’un voyage dans les Pyrénées en 1843, Hugo apprend la mort de sa fille Léopoldine. Cette mort tragique comme celle de Claire au même âge (19 ans) les rapprochera encore davantage.

Les événements de février 1848 qui voient la chute de Louis Philippe vont aussi être un moment important. Si Hugo n’est pas totalement acquis à la cause de la République, il prend fait et cause pour les victimes des émeutes. Quittant le faubourg Saint-Antoine où ils s’étaient installés, Victor Hugo déménage d’abord dans le quartier de la gare Saint-Lazare puis emménage rue de la Tour d’Auvergne, ce qui lui permet aussi de se rapprocher de son autre maîtresse à cette époque, Léonie, qui habite rue Laferrière !

Il a cependant pris soin d’installer Juliette près de chez lui, cité Rodier, mais elle ne sort que très peu et ils ne se voient guère. La cause politique prend vraiment le pas pour lui sur la création littéraire à cette époque. Victor Hugo défend en effet des thèses proprement républicaines comme la fraternité entre les hommes plutôt que la charité qui maintient de fait l’état de pauvreté dans les classes laborieuses.  Juliette ne pouvait qu’approuver ces prises de position énoncées souvent dans des discours enflammés prononcés par Victor Hugo à la Chambre. Il installe également son atelier de peinture cité Rodier où ses tableaux commencent à s’entasser, pour tenter de compenser ainsi son comportement volage dont Juliette prend conscience de plus en plus.

Fermement opposé au coup d’Etat fomenté par Louis-Napoléon Bonaparte, son activité d’activiste va provoquer à plusieurs reprises des tentatives d’arrestation durant cette période et pousser Hugo à fuir précipitamment de son logement de la rue de la Tour d’Auvergne le 3 décembre 1851.

Une image contenant escaliers, bâtiment, mur, ciment

Description générée automatiquement

Escalier menant de la terrasse du 41 rue de la Tour d’Auvergne vers la cité Charles Godon par où Hugo se serait enfui. © Emmanuel Fouquet

Il gagne Bruxelles où Juliette le rejoint avec des faux passeports avant de s’exiler sous de fausses identités à Jersey puis Guernesey. Si Hugo peut acheter la propriété de Hauteville House en 1856, Juliette s’installe comme locataire dans une maison toute proche.  Celui-ci s’emploie là à peindre sur bois des chinoiseries mais aussi continue à séduire certaines de ses servantes alors que Juliette ferme les yeux sur ses incartades, trop contente de pouvoir le voir tous les jours …

Il faudra attendre 1870 et la défaite de l’empereur pour que le couple illégitime regagne Paris. Victor s’installe brièvement au 5, avenue Frochot. Juliette, à l’hôtel Navarin notamment, va alors jouer le rôle de grand-mère auprès des petits-enfants de son amant, Charles Hugo, fils de Victor décédera d’ailleurs au début de la Commune et le convoi funèbre aura les plus grandes difficultés à gagner le Père-Lachaise. A la fin de cette terrible période qui voit partir à nouveau le couple à Bruxelles, c’est donc le retour à Paris en septembre 1871 et Hugo emménage au 66, rue de la Rochefoucauld et Juliette une fois de plus tout près, au 55, rue Pigalle.

Les réceptions s’enchaînent le soir chez Juliette, comme pendant les séjours à Guernesey mais l’âge venant ils décident enfin d’habiter ensemble et s’installent au 21, rue de Clichy en 1874 (même si Juliette occupera un étage différent !) où beaucoup de monde défile toujours nécessitant du personnel de maison.

Une image contenant Visage humain, portrait, homme, personne

Description générée automatiquement

Victor Hugo en 1873 par Carjat

Une image contenant peinture, Visage humain, habits, cadre photo

Description générée automatiquement

 Juliette Drouet en 1883 par Jules B

Victor Hugo, incorrigible, va d’ailleurs avoir une nouvelle liaison, qu’apprend aussi un peu plus tard Juliette puisqu’il s’agit de Blanche, sa propre femme de chambre … En 1878, fatigué et malade Victor Hugo se décide sur les conseils de ses proches à « s’expatrier » avec Juliette dans une résidence au calme, au 130, avenue d’Eylau (devenue 124 avenue Victor Hugo) où les deux amants allaient terminer leur vie.

En conclusion, Florence Naugrette revient sur cette passion qui les a réunis faite de joies et de deuils, de confiance et de trahisons, d’exaltations et d’amertume, en précisant ce que fut le personnage de Juliette pour Hugo, tout à la fois ou successivement : âme sœur, collaboratrice, première lectrice, copiste, soutien moral, éternel recours. Cette femme au destin étonnant fut aussi une des seules à tenir un discours de vérité auprès du plus célèbre écrivain de son temps.

Passionnante conférence donc de Florence Naugrette qui a montré là sa parfaite connaissance de cette femme au destin si particulier que lui a permis l’examen de la correspondance prolifique de Juliette Drouet. Les échanges se sont poursuivis alors autour d’un verre et lors de la signature de son ouvrage fort documenté.

Texte d'Emmanuel Fouquet


Date de création : 01/06/2023 • 12:22
Catégorie : - Echos du Terrain
Page lue 396 fois


Réactions à cet article


Personne n'a encore laissé de commentaire.
Soyez donc le premier !