A propos des Renommées de l’Opéra Garnier
A propos des Renommées de l’Opéra Garnier
(petite histoire)
© montage photographique Gérald Krafft
Renommées et renommée
Les deux groupes jumeaux globalement dénommés "Les Renommées" - qui se situent en attique au-dessus de l’entablement de la façade de l’Opéra de Paris, "La Poésie", à droite, "L'Harmonie", à gauche, qui, depuis la restauration de cette façade, rutilent sur le ciel au bout de la perspective de l’avenue de l’Opéra, et dont le second illustre la page d’accueil du site de 9ème Histoire - sont dus au sculpteur-statuaire Charles Gumery (14 juin 1827 – 19 janvier 1871).
Toutefois la dorure à la feuille d’or, qui rend aujourd’hui ces Renommées si éclatantes et difficiles à ignorer, succède à une longue période où elles n’en étaient pas revêtues et où leurs silhouettes, alors moins glorieuses, rendaient plus discrètes et moins évidentes les renommées qu’elles symbolisaient.
La propre renommée du sculpteur et sa notoriété sont d’ailleurs, quoiqu’il fut l’un des artistes statuaires majeurs du Second Empire, également assez discrètes et n’ont guère survécu à son décès précoce et à l’éphémère concurrence au pied de la façade de l’opéra Garnier du groupe de la danse de J.B. Carpeaux.
© inventaire photographique Adolphe Gumery et photographie Gérald Krafft
C'est cependant lui qui, ce groupe de Carpeaux chassé par le scandale qu’il provoqua, réalisa pour y occuper la place qui lui était dévolue un groupe de la danse, beaucoup moins magistral, et assez sage même pour appartenir aujourd’hui au musée David d’Angers, situé dans la ville du même nom et dans lequel une salle est d’ailleurs nommée Charles Gumery.
Charles et… Charles ? …Alphonse ? ...Achille ?
Et néanmoins aussi, encore récemment, en avril 2010, l’arrière-petite-fille de Charles Gumery, son unique descendante, fut amenée à échanger avec une société sans lien avec la famille mais baptisée « S.N.C. Gumery » qui projetait l’ouverture, dans la descente à couvert au nord-est de l’Opéra alors en cours de réhabilitation, d’un restaurant homonyme. Et, pour contourner des contraintes liées à la référence unique plus qu’explicite à l’artiste, il fut momentanément envisagé alors, entre autres hypothèses, de, plus discrètement, nommer l’établissement « Les deux Charles » en référence à (A. G. et A. G.) Garnier et Gumery... mais c'est sous le nom de "CoCo" qu'il est actuellement actif.
Le nom de « Les deux Charles » eut pourtant été pertinent pour un établissement situé dans le Palais Garnier en raison de l’amitié que se sont vouée l’un à l’autre Gumery et Garnier, l’un architecte, l’autre statuaire de l’édifice. Quoiqu’il l’aurait moins été en considération du fait que, si Gumery demeure pour la postérité Charles Gumery, il est en fait né à Passy Charles- Alphonse Gumery, fils de Nicolas, Achille Gumery dans une famille où le prénom d’Achille fut souvent porté, et qu'il fut d’ailleurs ainsi lui-même parfois nommé Achille plutôt que Charles - notamment par son frère Adolphe (entre autres dans un courrier daté du 14 juillet 1859 alors que ledit Adolphe servait dans les troupes françaises en Italie) - en raison peut-être de sa statue "Achille blessé au talon par la flèche de Pâris" qui lui valut le prix de Rome ainsi que son séjour à la Villa Médicis
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© ENSBA et inventaire photographique Adolphe Gumery
Lui-même, dans un courrier adressé lors de ce séjour à Emilie de Medeiros sa future épouse et daté du 4 octobre 1851 au tout début de ce séjour, signait déjà, assurément pour la même raison, "ton Achille Forget me not"; ce tandis qu'il était aussi couramment familièrement surnommé Pologne par ses amis, dont, entre autres, déjà, Garnier.
© collection Marie-Claude et Gérald Krafft
Garnier et Gumery
La proximité des deux Charles et leurs relations amicales semblent en effet anciennes et elles seront durables comme l'attestent plusieurs documents conservés dans la famille. Garnier remporte le prix de Rome en 1848, Gumery deux ans plus tard, le 7 Septembre 1850 (cf. certificat délivré le 5 Octobre 1850), mais des conseils de voyage de Paris en Italie, manifestement de la main de Charles Garnier, tendent à prouver l’antériorité même de leur amitié à leur période de commune résidence à la Villa Médicis. Tandis que, plus tard, des échanges de courriers, dont notamment au moins un poème adressé par Garnier (qui se plaisait à en écrire) à Gumery et des invitations écrites du couple Gumery par le couple Garnier, confirment la pérennité de cette amitié des deux hommes ainsi que l’existence de liens amicaux aussi entre Emilie Gumery et Louise Garnier, leurs épouses, liens desquels des échanges de correspondances, conservés par la famille, gardent les traces.
Les relations amicales entretenues par les deux couples apparaissent enfin aussi dans le testament autographe rédigé par Charles Gumery le 16 juillet 1869 dans sa 43ème année, un an et demi avant sa mort; alors qu’il était déjà rendu malade par les poussières résultant de la taille de la pierre, que certains de ses amis et confrères s’en inquiétaient et que ses contributions à la statuaire de l’Opéra Garnier l'épuisaient. En effet, Gumery prie dans ce document ses amis, « …et surtout mon ami Charles Garnier d’aider ma femme pour obtenir de faire instruire mes enfants à moins de frais possible ». Et cette disparition prématurée de son père, attribuée à la carrière de sculpteur de celui-ci, est certainement d’ailleurs la raison pour laquelle, son fils cadet, Adolphe (1861-1943), lui-même alors peintre, dissuada plus tard sa fille, Madeleine, de s’adonner, comme son grand-père, à la sculpture.
Des archives photographiques de l’Opéra enfin sont un autre témoignage de la proximité de l’architecte qui le conçut et du sculpteur qui y œuvra puisqu’on y voit, au centre, au milieu de divers artistes et praticiens réunis sur le chantier, Garnier et Gumery côte à côte.