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Swing dans le 9e - mars 2018



 



Ça swingue dans le 9e !

 

Devant une salle bien remplie, notamment par un certain nombre de personnalités éminentes de l’histoire du jazz, Philippe Baudoin, musicologue, enseignant et pianiste lui-même, a évoqué mardi 20 mars l’importance revêtue par le 9e arrondissement dans la naissance, l’évolution et la promotion du jazz à Paris dans la première moitié du XXe siècle.

Géographiquement, l’épicentre de ce nouveau courant musical s’est situé dans la partie nord-ouest de l’arrondissement, du côté de Pigalle (non pas à Montmartre comme évoqué souvent mais plutôt donc à son pied !) Historiquement, l’arrivée des troupes américaines en 1917 sur le front de l’est, et particulièrement de ses éléments noirs, va être à l’origine de l’implantation en France de la musique populaire du sud des États-Unis.
Philippe Baudoin a recensé 290 lieux liés au jazz dans le 9e entre les années 1920 et 1950, dont les plus importants sont situés dans le triangle formé par le boulevard de Clichy et les rues Fontaine et Pigalle !  

Notre conférencier évoque alors les grandes personnalités ayant marqué ce secteur de la capitale durant la période dite de l’avant-guerre, qui sont effectivement presque tous des Noirs américains (mais aussi des femmes noires !)

Ainsi Eugene Bullard (né dans l’état de Géorgie en 1895) qui a commencé une étonnante carrière en France d’abord comme boxeur en 1913, avant de s’engager dès 1914 dans l’armée française ! Les américains répugnaient en effet à recruter des noirs dans leurs propres troupes par peur de leur donner les mêmes droits … Après une blessure à Verdun, il devient le premier pilote noir de la fameuse escadrille La Fayette ! Après la guerre, il est batteur dans une boite de nuit de Pigalle  puis anime un cabaret, rue Fontaine, et reprend ensuite Le Grand Duc, 52, rue Jean-Baptiste Pigalle à l'angle des rues Fontaine et Pigalle. Après avoir revendu ce cabaret au début des années trente, il ouvre un bar, L'Escadrille au 15, rue Fontaine, c’est ainsi une des figures majeures du jazz et des nuits parisiennes de l'entre-deux-guerres.
Bullard crée même un gymnase le Bullard Athletic Club, 15 rue Mansart, comme le montre l’affiche présentée par Philippe Baudoin ! Il participe aussi à la seconde guerre mondiale avant de mourir en 1961 aux États-Unis dans l’anonymat. 

Autre personnage emblématique de l’entre-deux guerres, Louis A Mitchell, qui à la fin de la première guerre, s’installe aussi à Paris et comme batteur et chef d’orchestre fonde son groupe le Mitchell’s Jazz Kings.  Il jouera alors pendant cinq ans au Casino de Paris de la rue de Clichy et enregistre des disques fin 1921 chez Pathé. Il fait fortune et ouvre le Grand Duc (voir aussi plus haut). Il ouvrira également un restaurant au 36, rue Pigalle avant de repartir aux États-Unis juste avant la deuxième guerre.

Joe Zelli, d’origine italienne comme l’indique son nom, traine plutôt une réputation un peu louche. Il ouvre un club d’abord rue Caumartin puis en 1929 le Zelli’s, que l’on qualifierait aujourd’hui de «branché», 16 bis, rue Fontaine, avec une clientèle d’artistes et d’intellectuels et notamment beaucoup de surréalistes (mais sans André Breton qui habitait pourtant à côté !). On voit alors un extrait de film tourné sur place montrant l’ambiance festive qui y régnait.
 

Philippe Baudoin évoque encore d’autres vedettes féminines de cette époque : Florence Embri Jones qui se produit au Grand Duc de la rue Pigalle puis donnera son prénom au cabaret Chez Florence, rue Blanche, après qu’elle ait quitté la France et Ada « Bricktop » Smith à la grande chevelure rousse, qui après avoir aussi animé dès 1924 les nuits du Grand Duc, reprend Chez Florence en l’appelant Music Box puis ouvre en 1927 Le Bricktop 66, rue Pigalle, et devient la reine des nuits de Montmartre avec un public de célébrités comme  l’Aga Khan, le Prince de Galles ou encore Zelda et Scott Fitzgerald, Fred Astaire, Picasso et devient l’amie de Joséphine Baker ou de Duke Ellington ... Elle est très proche également de de l’un de ses plus fidèles clients, le compositeur Cole Porter, comme le montre une photo de 1932.  Elle quittera pourtant la France avant 1940.
 

Philippe Baudoin ne pouvait pas ne pas parler de Joséphine Baker, la reine du Charleston et des Folies Bergère ! La jeune artiste mariée à 13 ans et vedette de la « Revue nègre » qui publie ses mémoires à 21 ans (!), ouvrant aussi un club, Chez Joséphine, 40, rue Fontaine.
Notre conférencier et pianiste joue alors une version jazz de « J’ai deux amours » !

 

Une autre danseuse de revue, Adélaïde Hall, qui se produit au Moulin Rouge dans la revue « Blackbirds » ouvre également son club au 73, rue Pigalle, The Big Apple où vont jouer Django Reinhardt et Stéphane Grappelli !
 

Autre star de l’époque à fréquenter ce quartier où tout se passe : Sydney Bechet qui joue à l’Apollo (à côté du Casino de Paris) en 1920, accompagne Joséphine Baker dans la « Revue nègre » et habite rue de la Rochefoucauld. Le clarinettiste joue alors Chez Florence mais condamné à de la prison pour s’être battu en duel en 1928 (!), il est obligé de quitter la France où il reviendra en 1950 en tant que star !  Avec « Petite Fleur » comme standard incontournable à ce moment-là, il créera de véritables émeutes dans ses concerts de l’Olympia …  Sa célébrité fait même que l’opéra qu’il écrit « La nuit est une sorcière » sera représenté à l’Opéra devant le président René Coty !

Philippe Baudoin nous présente alors un des anciens vieux compagnons de Sydney Bechet, le trompettiste Marcel Bornstein, présent dans la salle ! Autre trompettiste réputé présent ce soir-là : Irakli, admirateur de Louis Amstrong dont il collectionne toute sorte de documents et d’enregistrements, comme cette photo où il se représente rue Scribe dans la même pose que le maître ! Amstrong a d’ailleurs résidé à l’Hôtel d’Alba, rue de la Tour d’Auvergne et répétait souvent au fameux studio Wacker de la rue de Douai, Mecque également de la danse à l’époque de l’avant et après-guerre, qui allait devenir ensuite le conservatoire municipal Lili et Nadia Boulanger (cette dernière eut comme élève Quincy Jones et Michel Legrand !).

Et puis il fallait évoquer le Café Boudon, rue Mansart, point de ralliement reconnu des musiciens de jazz de la capitale durant les années trente. C’est là que Stéphane Grappelli et Django Reinhardt ont rencontré Louis Amstrong pour la première fois ! Django avait ouvert auparavant pendant la guerre de quarante une boite de nuit, au 62 rue Pigalle, La Roulotte, sans doute pour rappeler ses origines manouches … Il habitait non loin 6, avenue Frochot. Stéphane Grappelli habitait lui rue de Rochechouart, puis 87, rue de Dunkerque, le 9e toujours !  Notre conférencier, vraiment très bien documenté, nous révèle d’ailleurs que celui-ci jouait chez lui surtout du piano et non du violon… 

Philippe Baudoin allait alors terminer sa conférence en abordant une des autres caractéristiques de l’arrondissement avec le siège du célèbre magazine Jazz Hot créé en 1935, prolongement journalistique du Hot club de France, association devenue célèbre créée en 1932 par Hugues Panassié, d’abord localisée 15, rue du Conservatoire puis 14, rue Chaptal où Charles Delaunay arrive en 1933 comme secrétaire général. En 1946, sera créée aussi dans l’arrondissement la première marque de disques de jazz : Swing.

Un autre magazine de jazz est lancé en 1948 au 69, rue La Fayette : Jazz news. Boris Vian, membre par ailleurs du Hot Club de France (qui écrivit aussi dans Jazz Hot), en fut le dernier rédacteur en chef.

Une bien sympathique et vivante conférence qui a montré les grandes connaissances de notre intervenant d’un soir (aidé aux manettes par sa femme Isabelle !) sur ce genre musical qui a hanté les nuits du 9e pendant une bonne partie du XXe siècle. On aurait aimé entendre encore Philippe Baudoin au piano mais le temps passait et l’heure du verre de l’amitié ne pouvait être repoussée davantage …   


Emmanuel FOUQUET

  


 

© 9ème Histoire 2018


Date de création : 22/03/2018 • 16:08
Catégorie : - Echos du Terrain
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