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Viollet-le-Duc - novembre 2019

© E. Fouquet 2019 © 9ème Histoire - 2019
 


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Jean-Michel Lenniaud  - © Sipa

 



Viollet-le-Duc et ses rêves


 


Beau sujet de conférence au titre très prometteur qu’avait choisi, mercredi 27 janvier à la mairie du 9e, Jean-Michel Leniaud, ancien directeur de l’École des Chartes et par ailleurs président des amis de Notre-Dame de Paris. La nombreuse assistance présente ce soir là allait d’ailleurs pouvoir apprécier la parfaite connaissance que notre conférencier possède de ce grand architecte du XIXe siècle.

L’angle choisi pour nous était d’évoquer aussi ce personnage à travers ses réalisations dans notre arrondissement. Il s’avère en fait que la très grande majorité des immeubles construits à Paris par Viollet-le-Duc (1814-1879) se trouvent dans le 9e !

D’entrée, Jean Michel Leniaud nous invite à considérer l’architecte sous deux aspects apparemment contradictoires mais qui ont fait sa renommée : d’un côté, le concepteur rationaliste s’appuyant sur les principes de grande lisibilité qu’offre l’architecture gothique médiévale, telle qu’il l’a décrite dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, de l’autre, l’artiste héritier du mouvement romantique vivant dans une sorte de rêve peuplé de chimères médiévales et sources de sa force créatrice.
 


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                                                             Portrait d'Eugène Viollet-le-Duc par Nadar -  © Gallica/BNF.                                                                 A. Geoffroy Dechaume - Viollet-le-Duc dans son cabinet de travail - © The Couttauld Institute of Art
 


Cette dualité est illustrée par le cliché de Nadar pris en 1878, un an avant la mort de l’architecte, où celui-ci apparaît avec la barbe de l’artiste mais aussi avec la cravate de l’architecte. Notre conférencier nous montre ensuite Viollet-le-Duc dans son cabinet de travail au 68, rue Condorcet, immeuble qu’il construisit et où il habita de 1862 à sa mort en 1879. Il figure là avec sa tunique sombre fermée par une ceinture et son bonnet, attributs des maîtres francs-maçons à l’époque. Un bas-relief dû à Geoffrey Dechaume, sculpteur qui travaillera également sur le tympan de Notre-Dame de Paris, le montre aussi à son cabinet.

Et puis il y a bien évidemment une des seize statues en cuivre de Notre-Dame de Paris, aujourd’hui patinées en vert-de-gris, représentant les 12 apôtres et les 4 évangélistes placées par groupe aux quatre points cardinaux, au pied de la fameuse flèche et sauvées du feu, car déposées pour restauration juste avant l‘incendie du mois d’avril ! Celle de Saint-Thomas, patron des architectes, a les traits de Viollet-le-Duc. Lui seul tourne son regard rêveur vers la flèche et le ciel, quand les autres apôtres regardent en bas vers Paris. Jean Michel Leniaud attire surtout notre attention sur un attribut porté par Saint-Thomas dans sa main droite : la règle de la Mesure (symbole du compagnonnage mais aussi maçonnique), d’autant plus qu’existait également une plaque de fer vissée au pied de la flèche montrant les noms de ses deux bâtisseurs (Viollet-le-Duc et Bellu), avec équerre et compas, autres symboles maçonniques.
                                             
Les inscriptions gravées sur cette règle sont d’ailleurs assez mystérieuses : au verso en latin : « Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc édifia cet arc (flèche) » mais certaines lettres écrites en majuscules donnent en chiffres romains et en les additionnant, la date de 1866 (la fin espérée des travaux de restauration ?). Au recto, une phrase également en latin tout aussi étrange : « Non amplius dubito : je ne doute pas de faire davantage ». L’architecte apparaît ainsi pour notre conférencier tel un mage désirant montrer la force de cette flèche qu’il avait réussi à monter ici. 
Jean-Michel Leniaud évoque en outre l’humour de Viollet-Le-Duc qui transparaît par exemple dans ses petits éléphants un peu grotesques en plâtre, répliques de statues du château de Pierrefonds (vendus ensuite à Drouot !). De l’humour il y en a aussi évidemment à travers ce Grand-duc sculpté en guise de console sur la façade du 68, rue Condorcet, représentation du nom même de l’architecte mais qui symbolise surtout ce que lui peut voir et que les autres ne voient pas. Dans le même esprit Viollet-le-Duc va souvent représenter des chauves-souris comme éléments de décor.

Notre conférencier aborde alors la biographie même de l’architecte, né au 1,  rue Chabanais (actuel 2e arrondissement), fils d’un conservateur des résidences royales sous Louis-Philippe résidant à ce titre dans le palais des Tuileries, et de la fille de l’architecte Jean-Baptiste Delécluze, qui tenait un salon où étaient reçus, entre autres, Stendhal et Prosper Mérimée, devenu en 1834 inspecteur général des Monuments Historiques. Celui-ci l’aidera surtout dans sa carrière en lui confiant, dès 1840 à 26 ans, la restauration de nombreux édifices comme la basilique de Vézelay. Celle-ci, grâce à lui, redevient un site patrimonial à part entière, après le remodelage de la nef et le percement de hublots en parties hautes. C’est le cas aussi de la Cité de Carcassonne en 1853 dont la restauration portera la marque de Viollet-le-Duc.
Auparavant, le grand chantier confié à
Viollet-le-Duc sera bien sûr la restauration de Notre-Dame de Paris en 1844, très endommagée lors de la Révolution française.
 


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Projet de restauration de Notre-Dame de Paris avant dégagement de ses abords - Dessin de Viollet-le-Duc © MC

 


En compagnie de Jean-Baptiste-Antoine Lassus (qui décèdera en 1857), autre grand architecte de cette période et spécialiste du Moyen Âge, il va créer d’abord une importante charte de déontologie de restauration. Il y met ses rêves de réaménagement de l’île de la Cité, en projetant la destruction de bâtiments qui enserraient de trop près la cathédrale comme le montre un dessin de Viollet-le-Duc lui-même (d’ailleurs excellent dessinateur et peintre) et en recréant ainsi un espace plus aéré autour de celle-ci. Il avait aussi imaginé un palais épiscopal en U au nord de la cathédrale !


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Immeuble 28 rue de L!ège -  - © ID 152052
 


En 1845, il construit son premier immeuble dans notre arrondissement, au 28, rue de Liège, pour un de ses entrepreneurs, Monsieur Courmont, en appliquant les principes de fonctionnalité qui lui sont chers. Les baies des fenêtres sont ainsi non surmontées de linteaux en fer mais en pierre. La façade se distingue alors par ces sortes de bow-windows inversés qui lui donne une allure assez géométrique doublée d’une impression de relief. Le rez-de-chaussée est aussi caractéristique par ses fenêtres à baies en anses de panier comme le large portail et sa discrète arcature aux réminiscences un peu médiévales.

Jean-Michel Leniaud évoque ensuite la riche carrière de l’architecte comme grand restaurateur de nombreux monuments religieux à Saint -Denis, Clermont Ferrand ou encore à Carcassonne et sa cathédrale où il refait les oculi en 1857 ainsi que la partie supérieure de la nef en 1869. Nommé inspecteur général des édifices diocésains en 1853 il a aussi un rôle de conseiller dans diverses restaurations comme à Evreux où, comme les pierres de la voûte de la cathédrale avaient commencé à tomber à cause d’arcs-boutants doubles non adaptés, ils seront remplacés par des arcs-boutants simples. Notre conférencier entre alors dans des considérations assez techniques que défendait Viollet-le-Duc avec ces notions d’équilibre entre points forts et points faibles …

Autre chantier incontournable de Viollet-le-Duc, c’est celui de la reconstruction du château de Pierrefonds en ruines. Il y travaillera à partir de 1858 après avoir été invité en tant que personnalité reconnue lors des « fournées » (!), comme il appelait ces soirées mondaines organisées par l’inspectrice des Monuments Historiques.
 


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Le château de Pierrefonds -  © cp
 


Il y fera montre de sa grande créativité et de son inspiration toute personnelle, plus proche parfois de l’Art Nouveau que du respect du style médiéval ! A partir de 1871, les travaux sont cependant arrêtés par l’arrivée des républicains au pouvoir qui n’apprécient guère le travail de l’architecte … Subsiste cependant encore, outre la structure générale du château heureusement conservée, la fameuse cheminée néogothique des « Preuses » dans la grande salle des fêtes, représentant l’impératrice Eugénie entourée de ses courtisanes.   


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Immeuble 15 rue de Douai  - © Mossot                                                                                Immeuble 68 rue Condorcet   - © N. Bonnelle/Paris Unplugged. 
 
                                  


En 1860, il construit l’immeuble du 15, rue de Douai, pour André Milon, entrepreneur justement à Pierrefonds, caractérisé par cet original système de contreforts soutenant le balcon du 2e étage (l’étage noble), avec ses quatre énormes consoles, plus apparentées ici à de simples éléments de décor. Le large portail rappelle également celui de la rue de Liège.

 C’est l’époque où il écrit ses grands traités d’architecture tel son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle dont la couverture originale représente un architecte avec son compas, entouré d’une part d’un prêtre et de l’autre d’un soldat en armes. Elle montrait ainsi que l’architecture gothique était bien confiée à des laïcs capables d’utiliser le théorème de Pythagore pour construire des angles droits en architecture !   On y trouve aussi, preuve de son imagination créatrice, les principes de la cathédrale idéale, inspirée d’ailleurs par le plan de celle de Reims où il invente des flèches qui n’ont jamais existé.

En 1862, il réalise la construction du 66, rue Condorcet pour la veuve de Louis Milon, se caractérisant par des lignes simples illustrées par ces bandeaux symétriques sur la façade et rythmant chaque niveau d’étage. En revanche, le portail est ici décentré, comme celui d’ailleurs de l’immeuble du 68 de la même rue construit à la même époque, et où va résider Viollet-le-Duc. Outre le fameux Grand-duc perché sur une colonne sous le balcon filant de l’étage attique, on trouve également là ce qui a déjà été observé dans les immeubles construits précédemment : des consoles massives soutenant les balcons ainsi que les arcades légères des grandes fenêtres et du portail du rez-de-chaussée. Jean Michel Leniaud nous fait aussi remarquer les deux élégantes et originales poignées sans doute en fonte qui décorent la porte. En revanche le ravalement sévère appliqué récemment à la façade avec sa couleur jaune très vive, n’est peut-être pas des plus heureux…   
 


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                                Le Grand Duc du 68 rue Condorcet  - © R. Duenclos                                                                                                Immeuble 23 rue Chauchat-42 rue La Fayette  - © TCY
 


L’année suivante, Viollet-le-Duc va construire un immeuble cette fois au coin du 23, rue Chauchat et du 42, rue La Fayette pour Sauvage, encore un autre entrepreneur qu’il avait recruté, toujours caractérisé par ses balcons supportés par de solides consoles mais également ici par son jeu de colonnes engagées qui entourent à chaque étage les fenêtres du mur à pan coupé. Notre conférencier souligne enfin le style original des chapiteaux mais aussi le côté rationnel de cette construction qui obéit certainement à des choix économiques qu’il compare alors avec l’immeuble construit au 78, rue Blanche par le fils de Théodore Ballu pour son père, autre architecte reconnu au XIXe siècle, et dont le style clairement Renaissance est aux antipodes des principes de Viollet-le-Duc !       


Pour terminer sa brillante conférence, Jean-Michel Leniaud évoque un autre ouvrage de Viollet-le-Duc : « Histoire d'un hôtel de ville et d'une cathédrale » publié par Hetzel un an avant la mort de l’architecte et où celui-ci apparaît sur le plat un de couverture écrivant penché sur un lutrin avec en arrière-plan un fond médiéval peuplé de flèches de cathédrales, image de ce que fut la vie de ce grand personnage qui se confond encore aujourd’hui avec une représentation du Moyen-Age réinventée avec génie.

Le traditionnel pot allait alors clore cette belle et instructive soirée en permettant de poursuivre les échanges entre notre conférencier et son public d’un soir .
 


                                                                    
Emmanuel FOUQUET

 


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Illustration de la couverture du Dictionnaire raisonné de l'architecture du XIe au XVIe siècle d"E. Viollet-le-Duc.
 


© E. Fouquet 2019 © 9ème Histoire - 2019.
 


Date de création : 01/12/2019 • 12:36
Catégorie : - Echos du Terrain
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