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Une mécène d'exception

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UNE MÉCÈNE D’EXCEPTION
 


Le Musée des Arts Décoratifs (1) rend hommage (depuis le 13 décembre 2019 et jusqu’au 15 mars) à l’une des mécènes les plus extraordinaires de son histoire, née le 26 décembre 1840 à Paris, dans le 6e, et mariée le 29 novembre 1873 à la Mairie du 9e avec pour témoins Victor Hugo (« propriétaire, âgé de soixante et onze ans, demeurant rue Drouot 20 ») et le député Emmanuel Arago : il s’agit de Marie Louise Jeanne Peyrat, devenue la marquise Arconati Visconti. Il n’y eut pas de mariage religieux.
 


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Détail de l'acte de mariage des époux Arconati Visconti portant la signature du témoin V. Hugo
 


C’est que, fille d’un célèbre journaliste et homme politique républicain anticlérical (d’origine toulousaine) Alphonse Peyrat (2) et de Marie Pauline Thérèse Rich (qui ont beaucoup vécu dans le 9e), Marie Louise Jeanne a été élevée dans le
culte de la R
évolution et des idé
es progressistes
 et elle ne trahira jamais les idéaux sociaux et laïcs de ce père très aimé. Cela ne l’empêchera pas de séduire un aristocrate italien très fortuné, royaliste et catholique, de l’épouser (malgré l’opposition de sa future belle-famille) puis de devenir la « marquise rouge » qui soutint le capitaine Dreyfus. 

Elle suit tout d’abord son mari en Italie car le marquis Jean Marguerite Martin, (« Gianmartino ») Arconati Visconti (3) est l’aide de camp du roi Victor-Emmanuel II. Ils n’ont pas d’enfant quand Gianmartino décède brusquement d’une typhoïde trois ans plus tard (à Florence, en février 1876), lui léguant une immense fortune, des domaines en Lombardie et en Belgique, divers palais à Rome et à Florence, ainsi que le château de Gaasbeck près de Bruxelles et la villa Balbianello sur le lac de Côme, demeures qu’elle conservera et où elle résidera longtemps (respectivement en automne et au printemps). 
 

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La marquise Arconati Visconti en habit de page photographiée par Nadar.
 

Elle va faire restaurer Gaasbeck par un architecte émule de Viollet-le-Duc, Charles Albert, et le remeubler dans l’air du temps, un esprit du Moyen-Age et de la Renaissance. Elle se fera photographier par Nadar en habit de page et posera ainsi dans son parc, où les allées portent les noms de ses amis. Sitôt veuve, la marquise s’installe àParis, où elle acquiert un bel tel au 16 rue Barbet-de-Jouy, qu’elle fait décorer par le très prisé maître verrier Joseph Albert Ponsin. Pour Octave Mirbeau, chroniqueur au « Gaulois », c’est « d’une richesse un peu trop bourgeoisement étalée et d’un luxe tapageur ». Elle ne se prive pas d’armoiries et de rites aristocratiques. En mars 1880 elle lance son « salon », où elle reçoit « un jeudi sur deux » des républicains de la première heure comme Léon Gambetta, Emile Combes, Joseph Reinach, Aristide Briand ou Jean Jaurès mais aussi des intellectuels (normaliens ou chartistes, tels Paul Meyer, Auguste Molinier, Gabriel Monod) (4), des amateurs d’art et des collectionneurs. Elle va consacrer sa fortune à l’achat d’œuvres d’art et au mécénat.
 


CULTURE ET GÉNÉROSITÉ
 


C’est grâce à Emile Molinier, conservateur au Musée du Louvre, chargé de sélectionner des pièces parmi les 3 300 de la succession de Frédéric Spitzer mises aux enchères au printemps 1893, qu’elle fait la connaissance d’un expert, antiquaire et collectionneur, Raoul Duseigneur, qui deviendra un compagnon très aimé et le restera jusqu’à ce qu’il décède en 1916. « Bobette Arconati», comme il la surnommait,  choisira de se faire enterrer sous ce nom près de lui à Rives-sur-Fure. Ce tombeau est toujours entretenu par la Sorbonne, sa légataire universelle (par testament du 2 février 1923). L’Université de Paris a ainsi reçu le reste de sa fortune (5), hors le château de Gaasbeck (légué àl’état belg)e, après son décès le 3 mai 1923. 

Dès juin 1892, la marquise a fait ses premiers dons au Musée du Louvre. Jeune auditrice libre à l’Ecole pratique des Hautes Etudes et à l’Ecole des Chartes, elle ne les oubliera pas non plus et ses donations se multiplient au fil des ans. Amie des musées, elle n’a de cesse de les protéger et de les enrichir, souvent avec des pièces de ses propres collections constituées avec goût grâce aux conseils de Raoul Duseigneur. En mars 1914 elle donnera à l’Etat « toutes les œuvres d’art conservées dans son hôtel particulier pour être exposées au Musée du Louvre ». Une salle y porte son nom.  


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« J’ai fondé ma vie sur cette croyance que les œuvres utilitaires n’étaient pas toutes les plus utiles et que les choses utiles entre toutes, les choses humaines par excellence étaient les lettres et les sciences par lesquelles se crée lentement une humanité supérieure » déclarait-elle il y a un siècle au recteur de l’Université de Paris. La marquise Arconati Visconti a ainsi soutenu nombre d’institutions d’enseignement et de recherche. Pour l’Ecole nationale des Charte: des bourses de recherche (portant le nom de son père) et un prix (au nom d’Auguste Molinier, qui avait expertisé en 1898 le bordereau à l’origine de l’affaire Dreyfus)… Pour l’Ecole des Hautes Etudes, le rachat de la bibliothèque de Gaston Paris… Pour le Collège de France un don de 50 000 francs pour « financer pendant cinq ans un cours complémentaire d’histoire générale et de méthodes historiques »Etc, etc… C’est l’Université de Paris qui recevra les plus gros subsides, dont un million de francs entre 1911 et 1912 qui permettra la construction d’un Institut de Géographie adossé à la Faculté des Lettres et à celle des Sciences ; suivi de deux millions en 1920 pour l’institut de la rue Michelet. 
 

Le Musée des Arts décoratifs, qui lui consacre une exposition met autant en valeur les qualités que les dons de sa grande donatrice. Le premier de ses dons date d’avril 1893 et il sera suivi de nombreux autres entre 1902 et 1914. En avril 1916 (elle a 76 ans et vient de perdre son compagnon), la marquise lui donnera tous ses bijoux (cinquante-trois pièces), « en souvenir de Raoul Duseigneur ». On peut les voir rue de Rivoli, ainsi que des pièces d’orfèvrerie, des objets, des meubles, des tableaux et des vitraux médiévaux et de la Renaissance.  Les bijoutiers préférés de Marie Louise étaient Lucien Falize et René Lalique, dont elle fut une des premières clientes et mécènes.     

A cette philanthrope d’une rare générosité, ce fut Gustave Lanson qui rendit un hommage funèbre : « Dans le champ illimité du bien à faire, elle avait choisi le bien qu’elle voulait faire. Les beaux-arts, l’érudition, la science, plus particulièrement la France et l’Italie de la Renaissance, la France du XVIIIe siècle, voilà les provinces que sa curiosité aimait à parcourir [] elle avait coutume de se dire une étudiante, une « chartiste ». Sa fine et large culture a fait d’elle la bienfaitrice en quelque sorte professionnelle des musées et des université»

 


Anick Puyôou
 


VICTOR MARIE HUGO
« demeurant rue Drouot, 20 » ?

 


Sur l’acte de mariage de Marie Louise Jeanne Peyrat, la mention, « demeurant rue Drouot, 20 » suivant le nom de son témoin « Victor Marie Hugo, propriétaire » a interpellé Didier Chagnas, fin connaisseur de la vie et de la correspondance
de l’écrivain. Il fait tout d’abord remarquer que la qualité de « propriétaire » est un statut social (V.H. a une maison à Guernesey) et n’entraîne pas la propriété de la demeure déclarée sur le document 20 de la rue Drouot. Victor Hugo vivait en novembre 1873 au 55 de la rue Pigalle avec Juliette Drouet.
Par contre on sait (source : « Choses Vues ») que son quatrième enfant, François-Victor Hugo, gravement malade de la tuberculose et qui résidait auparavant à Auteuil, villa Montmorency, a emménagé le 4 octobre au 20 rue Drouot et qu’il y est mort le 26 décembre 1873, à l’âge de 45 ans. Victor Hugo écrivit (Choses Vues -2e série) « Le 26, vers onze heures du matin, j’étais dans ma chambre, rue Pigalle. Je corrigeais une des dernières feuilles du tome III de « Quatre-vingt-treize » (…) on m’a apporté le billet de Gouzien m’appelant en hâte près de Victor ».

 

Didier Chagnas fait remarquer aussi que Marie Louise n’ayant pas de dot, la présence de Victor Hugo, ami de son père, comme témoin à son mariage a été en quelque sorte un cadeau très estimable, une compensation... Dans une lettre adressée le 29 novembre à Victor Hugo, Alphonse Peyrat lui dit : « Vous faites honneur à Arconati, l’honneur qu’il ambitionnait (…) Ma fille est fière de sa dot et elle m’a chargé de vous le dire ». 

  1. 107 rue de Rivoli 75001 Paris.
  2. Jean-Alphonse Peyrat (1812 – 1890), ami de Victor Hugo, Emmanuel Arago et de Léon Gambetta, a participé àla rédaction de nombreux journaux d’opposition dans le 9e arrondissement, dont « La Tribune » (qui croula sous les amendes), avant de devenir le rédacteur en chef de « La Presse », le journal d’Emile de Girardin, et de fonder en 1865 « L’Avenir national ». Il sera député (1871), votant systématiquement avec l’extrême gauche puis sénateur de la Seine (1876, 1882).  Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.
  3. « Gianmartino » est né à Pau le 11 novembre 1839. C’est un intellectuel et un artiste qui a participé aux campagnes d’Italie de 1860-1861 et aux dernières batailles de l’unification italienne. Son père Guiseppe, un ami d’Alphonse Peyrat, est exilé en France pour avoir soutenu le Risorgimento avec les « fédérés ». Il rentra en Italie en 1840, participa à Milan à l’insurrection de 1848 puis siégea au Sénat sur les bancs de la droite de 1865 jusqu’à sa mort en 1873.  
  4. Ils seront les premiers soutiens d’Alfred Dreyfus, avec lequel la marquise entretiendra une longue correspondance affectueuse durant sa détention et qu’elle recevra longtemps dans ses résidences. Elle soutenait « L’Aurore » et « L’Humanité ». 
  5. L’Université de Paris a reçu alors quelque 13 millions de francs, soit l’équivalent d’un milliard d’euros aujourd’hui. 

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MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS

107 rue de Rivoli
75001 Paris

Ouvert de 11 h à 18 h sauf le lundi

Jusqu'au 15 Mars 2020
 

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© 9ème Histoire 2020

 


Date de création : 28/02/2020 • 11:51
Catégorie : - Expositions & Visites
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