Les salles de cinéma du 9e arrondissement : des origines à nos jours
Les salles de cinéma du 9e arrondissement :
des origines à nos jours
Nul n’ignore que le 9e arrondissement est surnommé le « quartier des théâtres » puisque l’on peut y dénombrer pas moins de vingt salles de taille, de programmation et de renom divers. Mais l’on ne saurait oublier la présence d’établissements de cinéma, au nombre de quatre actuellement en activité, avec 22 écrans, chiffre plutôt modeste, compte tenu de son passé prestigieux.
LES DÉBUTS
Les frères Auguste et Louis Lumière (1895)
C’est dans le 9e arrondissement que le cinématographe est né en tant que spectacle. Et c’est dans le Salon indien du Grand Café au 14, boulevard des Capucines, qu’eut lieu cet événement. Le propriétaire de l’établissement loua aux frères Lumière une ancienne salle de billard, située en sous-sol, pour y organiser la première projection publique payante de leur invention. Cette séance du 28 décembre 1895, n’attira que 33 spectateurs qui purent assister à la projection de 10 films d’une durée de moins d’une minute, essentiellement des scènes documentaires (la Sortie de l’usine Lumière…), familiales (le Repas de bébé…), ou de fiction (l’Arroseur arrosé). L’hôtel Scribe qui occupe actuellement les lieux a installé un petit musée privé, là où se déroula cet événement mythique.
Affiche Cinématographe Lumière, L’Arroseur arrosé (1896)
Par la suite, ces projections allaient connaître un succès phénoménal qui nécessita l’intervention de la force publique appelée pour canaliser la foule. Mais paradoxalement les frères Lumière ne croyaient pas à l’avenir de leur invention, ils ne consacrèrent que peu d’efforts à la popularisation du cinéma en France. Pendant quelques années après la projection initiale, il n’exista à Paris qu’une seule salle dédiée à la projection de films, la plupart d’entre eux tournés par Georges Méliès, autre précurseur et rival affirmé des frères Lumière. De plus l’incendie en 1897 du Grand Bazar de la Charité qui fit 125 morts, rue Jean Goujon dans le 8e, faillit sceller définitivement le sort de cet art naissant. Heureusement les promoteurs de l’Exposition universelle de Paris en 1900 allaient consacrer une grande place au cinéma, ce qui fit oublier tous les aléas initiaux.
CRÉATION DES PALACES
A ses débuts le cinéma était donc muet et on eut l’idée d’accompagner de musique les projections en embauchant un pianiste ou un organiste, voire tout un orchestre, qui jouait sur la scène. Parfois aussi la projection était précédée d’un spectacle de music-hall, avec acrobates et prestidigitateurs. Et naturellement les promoteurs du cinéma jouèrent la carte de la magnificence des lieux d’accueil, en construisant ou en faisant l’acquisition de salles imposantes par leur dimension et leur aspect.
Dans le 9e, on peut donc citer :
L’ARTISTIC CINÉMA PATHÉ, au 62, rue de Douai, installé en 1907 dans la chapelle du couvent des Dames Zélatrices de la Sainte Eucharistie ; ses exploitants furent expropriés lors de la construction du lycée Jules Ferry en 1913. Le cinéma déménagea en face, et ouvrit donc ses portes au 59, le 19 mars 1913, dans une salle très luxueuse de 500 places. L’acquisition des bâtiments limitrophes au 61 et 63 permit l’agrandissement de la salle qui put désormais recevoir 1200 spectateurs en 1918. Après la seconde guerre mondiale : le cinéma s’appela alors ARTISTIC et sa jauge fut ramenée à 962 places. Ce cinéma exista jusqu’au 16 avril 1969. Dans ses dernières années il se spécialisa dans les films d’horreur et/ou d’épouvante. A cet emplacement se trouve aujourd’hui un bureau de poste.
Le CINEMA DES NOUVEAUTÉS, AUBERT PALACE, ouvrit en 1915, avec une salle décorée dans un style pompéien (fresques romaines et colonnes d’inspiration antique), à la place de l’ancien Théâtre des Nouveautés au 24, boulevard des Capucines avec une jauge de 800 places, appelé par la suite AUBERT LUMIÈRE, puis le LUMIÈRE. Devenu LUMIÈRE GAUMONT en 1967 et transformé en multiplexe en 1981, il ferma définitivement en décembre 1987 après 72 ans d’existence.
Le cinéma Aubert Palace lors de son ouverture en 1915 © salles.cinema.com
Le PIGALLE CINÉMA (également appelé FOLIES PIGALLE, STUDIO PIGALLE, PIGALLE PALACE) ouvrit ses portes au 11, place Pigalle en janvier 1908 dans une salle de 400 places et cessa ses activités fin 1956 pour devenir une boite de nuit encore connue sous le nom de FOLIES PIGALLE.
Le PETIT JOURNAL ou CINÉMA LAFAYETTE s’installa en 1904 dans la salle des fêtes du journal homonyme au 21, rue Cadet. Sa jauge était de 1200 places, mais l’activité de projection cinématographique ne s’y exerça que de façon épisodique dans les années 20.
Le mythique THÉATRE DE L’ŒUVRE au 55, rue de Clichy abrita dans sa cour, pendant la Première Guerre Mondiale, un cinéma : l’ANGLO AMERICAN CINÉMA, avant que les fondateurs ne récupèrent leur salle pour des représentations théâtrales, leur destination d’origine.
Façade du théâtre de l’œuvre © G.Bourger
D’autres salles ont alterné leurs activités de spectacle au cours du XXe Siècle.
Le théâtre EDOUARD VII, créé en 1913 place Edouard VII, a été exploité comme salle de cinéma par la 20th Century Fox de 1931 à 1940 avant de retourner à sa vocation première, le théâtre de répertoire.
Le CASINO DE PARIS, 16, rue de Clichy, projeta également des films courts dans l’esprit des projections Lumière des origines, en même temps que leur spectacle de music-hall.
Le PALACE au 8, rue du Faubourg-Montmartre, fut à ses débuts en 1912 une salle de cinéma, sous le nom de GAUMONT COLOR. Par la suite le lieu devint un music-hall, avant d’acquérir la célébrité à la fin des années 70 comme lieu festif du tout Paris « branché ».
L’OLYMPIA au 28, boulevard des Capucines est le plus ancien music-hall français en activité, fondé en 1888 par le propriétaire du Moulin Rouge, Jacques Ollier. Peu après sa mort en 1922, le lieu devient un cinéma sous le nom de Théâtre Jacques Haïk, qui était un célèbre producteur distributeur d’entre les deux guerres Il distribua notamment les films de Charlie Chaplin pour lequel, il inventa, dit-on, le pseudo « Charlot » destiné à populariser les films de l’acteur réalisateur. On lui doit aussi la création du Grand REX en 1932, plus grande salle d’Europe à l’époque (3 000 places). Cette salle, toujours en activité, limitrophe de notre arrondissement, au 1, boulevard Poissonnière a été entièrement rénovée en 2022.
Au 8, rue d’Athènes, la « Société des Agriculteurs de France », a acquis en 1891 l’ancien hôtel particulier d’un baron belge pour y installer son siège social. Un petit théâtre à l’italienne destiné aux réunions annuelles de l’instance syndicale servait le reste de l’année de salle de concert, à partir de 1928 on y projeta tous les mois des films de répertoire puis à partir de 1938 la salle devint un cinéma ouvert au public sous le nom AGRICULTEURS BRODWAY (sic). En 1962 l’immeuble fut démoli ce qui décida de la fin de ses activités cinématographiques.
Salle de congrès de la Société des Agriculteurs de France © Gallica BNF
Faut-il rappeler que l’actuelle salle de spectacle de la mairie du 9e arrondissement au 6, rue Drouot, appelée Salle Rossini jouxtant le passage Jouffroy , est …un ancien cinéma, l’ASTOR, du nom d’une comédienne de l’époque, Junie Astor. La salle de 750 places qui ouvre ses portes début 1948 à la place d’un ancien café-concert datant de la fin du XIXe siècle, le Petit Casino, a été fréquentée par François Truffaut qui la filma dans Les 400 coups. Ayant cessé ses activités le 8 novembre 1970, la mairie du 9éme la rachète en 1972 et la transforme en salle de spectacle de près de 350 places, toujours donc en activité pour ses diverses grandes manifestations.
VIE ET MORT DES CINÉMAS DE QUARTIER
A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la situation du cinéma français, et a fortiori des salles nécessaires à la projection des films, avait quelque peu changé : le public s’était diversifié et ses désirs et exigences avaient évolué. Les amateurs de cinéma souhaitaient tout d’abord être divertis, d’où leur goût pour le grand spectacle et les salles susceptibles de le proposer, avec v grand écran, son de qualité, personnel accueillant, offre de friandises variées à l’entracte et présentation d’actualités, de courts-métrages et/ou de films publicitaires. Certains spectateurs privilégiaient le côté familial dit de proximité, d’où l’ouverture de nombreuses salles de quartier pour satisfaire un public de tous âges, avec des films d’aventure, de cape et d’épée, des péplums ou des policiers. Enfin s’est créée une nouvelle catégorie d’amateurs, celle des cinéphiles, à la recherche de films exigeants et dépaysants : œuvres de patrimoine, thrillers, westerns, films des pays de l’Est ou de pays exotiques d’Asie ou d’Amérique Latine, tous présentés en version originale, la séance étant suivie parfois d’un débat après la projection.
Les salles du 9e se sont adaptées à ce nouveau marché et nombre de cinémas se sont inscrits dans cette veine. Rien qu’à Paris on ne comptait pas moins de 400 salles actives dans les années 50. Hélas presque toutes ont dû fermer à la fin du XXe siècle, en raison de la vétusté des salles, de la diversification de l’offre sur d’autres supports, sans compter la question du coût de l’immobilier devenu prohibitif pour des exploitants peu fortunés.
Les salles pour cinéphiles, dites aussi salles d’art et essai, ou de ciné-club ont été longtemps cantonnées au Quartier latin même si leur nombre a aujourd’hui considérablement diminué. Ce que l’on sait moins c’est que cette expérience avait eu un précédent dans notre arrondissement : deux jeunes cinéphiles, employés d’une compagnie d’assurance du quartier, Jean-Max Causse et Jean-Marie Rodon, se sont lancés en décembre 1966 dans l’exploitation de cinéma, en rachetant au 9, rue Buffault un vieux cinéma délabré, ancienne salle de quartier de 550 fauteuils qui avait ouvert en 1931 sous l’enseigne LAFAYETTE. Les deux compères programmèrent au STUDIO ACTION, rebaptisé par la suite ACTION LAFAYETTE dont la jauge ne faisait que 145 places, un film ou plusieurs films hollywoodiens différents tous les jours, souvent dans le cadre d’un cycle thématique (l’Histoire de l’Ouest à travers le western, l’Age d’Or de la comédie musicale…). Les deux exploitants réussirent à faire venir en personne dans leur salle, des vedettes principalement américaines comme Robert Ryan, Sterling Hayden, Liza Minnelli… Quelques années plus tard, une deuxième salle de 50 places vint compléter l’offre et le concept ACTION se répandit dans le Quartier latin, rue Christine et rue des Ecoles. Les salles de la rue Buffault connurent leur dernière séance le 16 juillet 1989 pour laisser place à une supérette…
Affiche Méphisto désemparé à l’Action Lafayette © salles.cinema.com
Le STUDIO 43, sis au 43, rue du Faubourg-Montmartre dans les locaux d’un ancien music-hall fondé en 1936 a été une salle de cinéma dédiée, de 1981 à 1989, à la programmation exclusive de films français réputés élitistes. Son propriétaire Dominique Paini a dirigé par la suite la Cinémathèque Française et assuré la programmation cinéma du musée du Louvre. Actuellement les locaux sont occupés par un restaurant.
Situé sur les Grands Boulevards, au 14, boulevard Poissonnière (en face du Grand Rex), le MIDI MINUIT a été un cinéma mythique, connu de tous les passionnés de cinéma bis. Il a existé du 13 juillet 1939 au 19 mars 1985. La salle de 500 places se trouvait en sous-sol d’un grand immeuble haussmannien. Les projections qui y eurent lieu connurent trois périodes successives. La première concerna le cinéma de l’âge d’or américain, celui qui fit ensuite les grands jours des cinémas ACTION et OLYMPIC, salles créées par Frédéric Mitterrand, grande vedette de la Télévision puis éphémère ministre de la Culture. La seconde débuta à partir des années 60 pendant lesquelles alternèrent sur son écran les films d’aventure, de guerre et d’épouvante, notamment les films d’horreur de l’école anglaise « gothique »de la période (DRACULA le vampire, FRANKENSTEIN) et des films fantastiques. La dernière période fut moins glorieuse, le cinéma programmant à partir des années 1970 et jusqu’à sa fermeture des films érotiques puis classés X. Le nom du cinéma fait référence à sa longue amplitude d’ouverture journalière, de 10h à 2h du matin. Fait unique dans l’histoire du cinéma et de l’édition : de 1962 à 1970 parurent 20 numéros d’un périodique spécialisé placé sous le parrainage de la salle de cinéma, sous le titre de MIDI MINUIT FANTASTIQUE. Actuellement les locaux sont occupés par une agence bancaire.
Il est à noter que le cinéma BERGÈRE, sis 15, rue du Faubourg-Montmartre, créé en 1931 avec une jauge de 500 places, eut pendant une très courte période en 1985 l’idée de s’inscrire dans la filiation de cette salle en se rebaptisant le BERGÈRE MIDI MINUIT. Mais l’expérience tourna court quelques mois après. Le cinéma BERGÈRE ferma ses portes le 21 juillet 1986
Le HOLLYWOOD BOULEVARD au 4, boulevard Montmartre et le GAITÉ ROCHECHOUART au 15, boulevard Rochechouart étaient deux cinémas spécialisés dans les films d’action (séries B, karaté, polars italiens). Le premier appartenait à René Château, industriel-exploitant qui se spécialisa d’abord dans la diffusion des cassettes vidéo et devint également dans les années 70 le producteur des films d’action de l’acteur Jean-Paul Belmondo. La salle exista de 1973 à 1992. Le second passa par différentes phases depuis son ouverture en 1930 jusqu’à la fin de sa carrière en 1987, alors qu’il occupait le même créneau que le Hollywood Boulevard. Actuellement ces locaux sont occupés par un bazar.
Théâtre du Nord-Ouest (ex Club)© E.Fouquet
Le CLUB était installé au 13, rue du Faubourg-Montmartre de 1954 à 1991, dans la salle actuelle du Théâtre du Nord-Ouest, avant donc de céder la place au théâtre de répertoire actuel. A ses débuts, ce cinéma tenta lui aussi de jouer la carte du cinéma de genre. Y fut lancé le Festival annuel du film fantastique. Auparavant de 1948 à 1954, se trouvait là un cabaret très renommé où vinrent se produire à leurs débuts Edith Piaf et Yves Montand.
Le DAUPHIN, au 65 bis, rue La Fayette, exerça son activité de projection de films dans une salle de 450 places, de 1949 à l’été 1971.
Le ROXY, également situé au 65 bis, mais de la rue Rochechouart cette fois, a accueilli des spectateurs de 1931 (sous l’enseigne COLISEUM à l’origine) jusqu’en 1961. Il avait une capacité importante pour un cinéma de quartier : 1100 places.
Le DELTA, situé à l’angle de la rue du Delta et du boulevard Rochechouart, a été une salle de 450 places de 1920 à 1986 (remplacé aujourd’hui par un magasin de fripes …).
PÉRIODE ACTUELLE
Au 1er janvier 2024, Paris comptait 76 cinémas, totalisant 391 écrans et 64 910 sièges. Aucune autre ville au monde ne possède une telle densité dans le secteur du spectacle cinématographique.
La part de marché du 9e dans ce secteur est plutôt modeste au regard de sa position centrale dans la capitale et de son histoire dans la naissance et le développement ultérieur du Septième Art. Chacune des quatre salles recensées possède des caractéristiques différentes, ce qui fait de l’offre cinéma dans le 9e un parfait condensé de ce marché à la physionomie variée et évolutive depuis ses origines.
Les complexes cinématographiques sont apparus dans les années 70 et leur développement à Paris a été essentiellement le fait de trois grandes sociétés de production et de distribution : PATHÉ, GAUMONT, UGC. En mars 2017, le groupe GAUMONT, la plus ancienne société cinématographique au monde, a cédé son parc de cinémas à la société PATHÉ CINEMAS, l’enseigne Gaumont disparaissant ainsi du fronton des salles au profit de la marque PATHÉ.
GAUMONT OPÉRA avait constitué dans la seconde partie du XXe siècle un pôle de cinq cinémas en synergie : trois dans le 9 e et deux dans le 2 e, séparés géographiquement par le boulevard des Capucines, trois d’entre eux ont disparu :
- au 8, boulevard des Capucines, le GAUMONT OPÉRA a exercé son activité de 1937 à 1979. Actuellement ses locaux sont occupés par un magasin de prêt à porter.
- au 29, boulevard des Italiens le GAUMONT IMPÉRIAL OPÉRA qui existait depuis 1926, mais sous le nom Gaumont que depuis 1992 a fermé ses portes en 2001 ; ces locaux sont occupés par un restaurant libanais.
- au 38, boulevard des Italiens, le GAUMONT OPÉRA FRANÇAIS, ouvert en 1940, a été repris par Gaumont en 1992, en même temps que le cinéma précédent. Ses cinq salles résultat de l’annexion du CINÉMONDE OPÉRA voisin ont fermé en 2019, au profit d’un musée consacré à l’art numérique.
Dans le secteur de l’Opéra Garnier on trouve le PATHÉ OPÉRA PREMIER dont les 6 écrans ont intégré le réseau Gaumont Pathé en 1978, investissant une salle de quartier datant de 1950. Pour l’histoire, rappelons que l’immeuble a servi de cadre sous l’occupation nazie à l’exposition antisémite de sinistre mémoire « Le Juif et la France »( septembre 1941 à janvier 1942).
Le PATHÉ PALACE, anciennement GAUMONT OPÉRA CAPUCINES (lui-même ancien cinéma PARAMOUNT OPÉRA) au 2, boulevard des Capucines a ouvert le 10 juillet 2024 après cinq ans de travaux de rénovation. Au-dessus de ses salles, PATHÉ a implanté les locaux de son siège social.
Rotonde du Pathé Palace © H.Tannenbaum
En 1926, la société américaine PARAMOUNT avait acquis à l’angle du boulevard des Capucines les locaux d’un théâtre, le VAUDEVILLE pour y installer la vitrine de luxe de ses films en France. Surnommé le « Ritz des cinémas parisiens », ce cinéma organisa les premières projections permanentes (8 séances dans la journée), accompagnées d’une musique jouée sur un orgue à la sonorité exceptionnelle. Y eurent lieu également les premières séances parisiennes de films parlants et les premières séances en VistaVision, procédé rival du Cinémascope créé par la société américaine FOX. En 1974, il se transforma en complexe cinéma, avec 7 salles, dont une de 800 places. Après 80 ans d’exploitation, Paramount céda cette salle renommée au groupe Gaumont-Pathé qui la baptisa GAUMONT OPERA.
Suite à la prise de contrôle de la salle par PATHÉ, celle-ci connaît un nouveau destin. Sous la houlette de l’architecte Renzo Piano (un des architectes du Centre Pompidou), le nombre de ses fauteuils est réduit, au rebours de la course au gigantisme (850 fauteuils pour l’ensemble de ses 7 salles), mais offre un environnement de luxe inédit pour un complexe de cinéma. Doté d’un salon bar au niveau de la rotonde façon Art Déco, s’y ajoutent des services et prestations d’accueil, couplés à des conditions de projections idéales en confort et en technicité, avec toutefois un prix élevé pour une séance de cinéma …
Pathé Palace : Décor du salon/bar © E. Fouquet +
Escalier style Art Déco © H.Tannenbaum
Le troisième distributeur producteur présent dans la capitale, UGC (Union Générale Cinématographique), n’a pas l’ancienneté de Gaumont et de Pathé puisque la société ne fut créée qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour exploiter le réseau de salles françaises spoliées par les forces d’occupation allemandes. D’abord société publique, UGC fut privatisée en 1971 et devint par la suite un rouage essentiel dans le secteur du cinéma à tous les niveaux.
L‘UGC possède un cinéma non loin du vaisseau amiral de Pathé. Il s’agit de l’UGC OPÉRA, sis au 32, boulevard des Italiens, complexe cinématographique aux dimensions assez modestes, avec quatre salles de 364, 196, 81 et 81 places, qui a repris en 1988 les locaux d’un cinéma de quartier, le CAMÉO jouxtant lui-même un autre cinéma, le HELDER.
Cette salle, de 480 places avait été inaugurée en mai 1936, devenant aux dires de son fondateur un « cinéma luxueux aux apparences de théâtre », avec une marquise et des tapis rouges à l’accueil. Au tournant des années 1970, il entra dans le giron du groupe UGC qui installa quatre salles dans le quartier de part et d’autre du boulevard. En mai 1988, le cinéma HELDER ferma définitivement ses portes, car il ne correspondait plus au schéma des salles « multiples ». Le fast food qui l’a remplacé a conservé sa verrière en façade. L’UGC OPÉRA intégra la salle à son complexe existant.
Les 5 CAUMARTIN, situé au 101, rue Saint-Lazare, fait partie, avec le LINCOLN (14, rue Lincoln, près des Champs-Elysées) et les 7 PARNASSIENS (98, boulevard du Montparnasse) d’un groupe de trois cinémas regroupés sous le sigle MULTICINÉ.
Ouvert en 1997 avec cinq salles réparties sur quatre étages (210, 107, 94, 57 et 41 fauteuils), il présente la particularité d’occuper les locaux d’un cinéma de 1939, le CINÉVOG. Son fondateur, un émigré d’origine russe nommé Boris Gourevitch, dut quitter la France pour les USA peu après son arrivée en raison des persécutions nazies. Lorsqu’il revint dans l’Hexagone, il ramena avec lui le principe des complexes multisalles, qu’il expérimenta à partir de 1966 dans des petits cinémas du Quartier latin et surtout dans son cinéma emblématique, qui passa entre 1966 et 1971 de deux à trois puis quatre salles. Après une période de quelques années où le Cinévog se consacra à des projections de films X, il reprit ses activités « art et essai » exercées encore aujourd’hui, couplées à la location occasionnelle de salles à des sociétés ou particuliers, ainsi qu’à l’organisation de festivals de films thématiques (films sociaux ATTAC notamment, cinéma italien).
Le quatrième cinéma survivant de l’arrondissement est le plus remarquable sur le plan historique, le MAX LINDER PANORAMA. Il présente un passé original et unique en son genre à Paris dans le domaine de la cinéphilie. Il fut créé en 1911 au 24, boulevard Poissonnière par un industriel norvégien, H. Roede, féru du Septième Art. Mais ce dernier le céda rapidement à PATHÉ qui l’utilisa comme écrin pour ses actualités cinématographiques, genre créé par la société et qui a perduré des décennies durant sous l’intitulé PATHÉ JOURNAL. A la recherche d’une salle destinée à la projection de ses films comiques, le grand acteur français Max Linder (dont le style de jeu, de l’aveu même de Charles Chaplin servit de modèle au personnage de Charlot) en fit l’acquisition après la Première Guerre mondiale et l’exploita jusqu’à sa mort tragique en 1921.
Charlie Chaplin et Max Linder
Par la suite, la salle passa par différents statuts : propriété de Paramount, du réseau Parafrance jusqu’à sa faillite en 1986, des propriétaires du réputé ESCURIAL situé dans le 13e, et enfin après un intermède du groupe belge Kinepolis, d’une équipe de jeunes passionnés de cinéma qui rachète la salle. Outre les projections de films à caractère spectaculaire, les nouveaux propriétaires y organisent des rencontres avec des cinéastes de renom, essentiellement américains (Coppola, Cimino, Lynch…), ainsi que diverses animations (festival spécialisé dans la SF, et le fantastique, séances pour enfants, etc.).
Le cinéma présente quelques particularités remarquables :
- c’est la dernière salle parisienne munie d’un seul écran,
- comme le Grand Rex voisin, le Max Linder dispose de trois niveaux : parterre (264 places), mezzanine (195 places) et balcon (108 places),
- son équipement est de qualité supérieure : dimension de l’écran (107 m2, 16 m de long), son THX, qualité de l’isolation de la salle, accueil dans un hall de style « années 30 »).
Enfin, c’est actuellement le seul cinéma parisien baptisé du nom d’un acteur-réalisateur.
EN GUISE DE CONCLUSION
L’exploitation cinématographique se trouve actuellement à un carrefour. Certes la projection en salle résiste encore, plébiscitée par un public d’habitués inconditionnels. Mais elle a connu depuis peu des évolutions majeures et problématiques pour son avenir. Les périodes de confinement récentes, ainsi que le développement des offres de films en « streaming », du style Netflix, et le grand succès des « séries » popularisées par la télévision ont éloigné nombre d’amateurs des salles, peut-être provisoirement. Quant aux salles elles-mêmes, leur avenir paraît incertain. Le renouvellement de l’équipement à la suite du passage à la projection numérique couplé aux exigences de confort des spectateurs a provoqué une importante augmentation des frais de fonctionnement. Sans compter que s’est produit en 2024 un événement dramatique pour la profession et le public : la disparition quasi-totale des cinémas de l’avenue des Champs-Elysées, victimes de la flambée des loyers et de l’expansion de l’industrie du luxe. Souhaitons que le 9e arrondissement ne connaisse pas un sort semblable et que le berceau du cinéma soit préservé d’un destin aussi funeste.
Gérard Bourger
Catégorie : - Histoire
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